Arianespace tente un double lancement simple

Ariane 5 VA227 sera-t-elle le dernier lancement double d'Ariane 5 d'ici avril 2016 ?
Les deux premières Ariane 5 de 2016 n’emporteront chacune qu’un seul satellite : Intelsat 29e fin janvier et Eutelsat 65 West A début mars.

Ces deux entorses au régime de lancement double qui a fait le succès d’Arianespace depuis trente ans sont dues à la non disponibilité de co-passager de moins de 3,5 tonnes pour occuper la position basse sur le lanceur européen dans le premier trimestre de 2016, alors que ces deux satellites de 6,4 et 5,9 tonnes – pour lesquels un lancement en position haute a été commandé – ne peuvent attendre. Chacun de ceux-ci représente un investissement majeur pour son opérateur et tout retard dans sa mise sur orbite constitue une immobilisation d’un capital censé commencé à se rembourser sitôt sur orbite. C’est particulièrement le cas pour Intelsat 29e, premier satellite à très haut débit développé par Boeing pour le programme Epic sur lequel Intelsat a misé son avenir.

Pour Eutelsat, il s’agit de garantir que son satellite, commandé à SSL en juillet 2013, sera bien disponible au dessus de l’Amérique latine – par 65° ouest – avant l’ouverture des jeux olympiques de Rio le 5 août. L’opérateur européen a même préféré avancer son lancement plutôt que d’attendre un éventuel co-passager pour un vol au deuxième trimestre.

Ces missions dédiées représentent un défi pour Arianespace qui a dû trouver des arrangements avec ses deux puissants clients pour que ces vols, s’ils ne seront probablement pas rentables, se fassent néanmoins dans des conditions financièrement acceptables par toutes les parties. Si Arianespace ne communique pas sur ses prix, on sait néanmoins que les tarifs pour une place en position basse ont été révisés pour être compétitifs face à ceux pratiqués par SpaceX (environ 50 à 60 M$) tandis que ceux en position haute s’alignaient plutôt sur les anciens tarifs du Proton (à plus de 100 voire 120 M$). Le prix d’une Ariane 5 dédiée se situerait pour sa part entre 175 et 220 M$.

Une concurrence absente

Arianespace a toutefois pu bénéficier d’une conjoncture favorable. D’une part les deux opérateurs ne peuvent attendre pour lancer, d’autre part ils ne disposent d’aucune alternative puisque ni le Proton d’ILS ni le Falcon de SpaceX ne peuvent assurer la relève. Le premier, qui est retourné en vol le 28 août, doit désormais rattraper le retard accumulé sur son propre manifeste. Deux missions fédérales russes sont prévues d’ici la fin de l’année pour lancer le satellite militaire Garpoun le 2 décembre et le satellite de télécommunications Ekspress AMU-1 (construit par Airbus) le 19. Le lanceur de janvier initialement attribué à la mission ExoMars de l’ESA (reportée à mars) emportera finalement le satellite Eutelsat 9B avec le terminal EDRS-A de l’ESA, en guise de « charge hôte ». EDRS-A servira notamment aux liaisons à haut débit avec les satellites d’observation Sentinel du programme européen Copernicus.

De son coté, le Falcon 9 n’a toujours pas repris ses vols après son échec du 28 juin. Une première mission, avec onze satellites Orbcomm sur orbite basse, est prévue à une date indéterminée début décembre. Elle sera suivie à la fin du mois par la mise sur orbite du satellite SES-9 pour l’opérateur luxembourgeois SES. Ces deux vols mettront en œuvre la nouvelle version dite « 1.2 » du lanceur, avec des performances accrues de 30 % avec une poussée augmentée de 15 % sur les moteurs et un chargement en ergols augmenté de 10 % sur le second étage. Le dernier lanceur de la version précédente (1.1) sera utilisé pour le petit satellite d’altimétrie océanique Jason 3, projet conjoint du Cnes, du JPL, d’Eumetsat et de la Noaa, probablement en janvier. Le manifeste du lanceur d’Elon Musk est lui aussi saturé et sa capacité d’emport reste limitée aux environs de 5,8 tonnes. Pour aller au-delà SpaceX devra mettre en œuvre son nouveau Falcon Heavy, dont l’introduction, constamment repoussée depuis 2012, est désormais prévue pour mai prochain.

Le défi de l’appairage

Depuis deux ans, Arianespace a fait évoluer son offre commerciale pour conquérir une part importante du marché des satellites de moins de 3,5 tonnes afin justement d’éviter de se retrouver en panne d’appairage pour ses lancements doubles. Le but semblait avoir été atteint car à la mi-2015, Arianespace pouvait afficher un carnet de commandes équilibré entre les satellites prévus en position haute et basse. Encore fallait-il que les calendriers entre les deux catégories puissent coïncider.

Déjà, en août dernier, l’opérateur d’Ariane a dû accepter de voir partir le satellite Jupiter 2, alias Echostar 19 (6,3 tonnes), sur un lancement Atlas 5 faute de pouvoir lui garantir un créneau et un co-passager à la fin de 2016. Ce transfert ne représentait toutefois pas une perte de contrat pour Arianespace car cette mission s’inscrivait dans le cadre d’un accord multilancement avec Echostar signé en 2013 et le créneau sur Ariane pourra donc être réaffecté.

Deux satellites lancés, deux satellites signés

Eutelsat 65 West A. Crédit : SSL.

Eutelsat 65 West A. Crédit : SSL.

Le 10 novembre à 21 h 34 TU, l’Ariane 5 de la mission VA227 a décollé dès l’ouverture de la fenêtre pour mettre sur orbite deux satellites de télécommunications, Arabsat 6B (alias Badr 7) pour l’organisation Arabsat et GSAT-15 de l’agence spatiale indienne Isro. Les deux satellites ont été correctement séparés sur orbite de transfert permettant au lanceur européen d’engranger son 69e succès d’affilée.

D’une masse de 5 799 kg au lancement, Arabsat 6B est un satellite de type Eurostar 3000 LS construit sous une double maîtrise d’œuvre d’Airbus Defence & Space (plateforme) et Thales Alenia Space (charge utile). D’une puissance supérieure à 11 kW, il comporte 27 répéteurs en bande Ku et 24 en bande Ka. Il sera déployé à 26° Est, en co-localisation avec les autres satellites de télédiffusion Badr d’Arabsat.

GSAT-15 pesait pour sa part 3 165 kg au lancement. Basé sur une plateforme indienne I-3K, il dispose d’une puissance de 5,6 kW pour alimenter une charge utile de 24 répéteurs en bande Ku. Il emporte aussi une charge Gagan (GPS Aided GEO Augmentation Navigation) pour diffuser des correctifs au signal GPS afin d’en améliorer la précision. Il sera positionné à 93,5° Est, aux côtés d’Insat 4B et 3A.

Dans la foulée du lancement, Arianespace a annoncé que l’Isro avait sélectionné Ariane 5 pour lancer deux autres satellites d’environ 3,4 t pièce : GSAT-17 et GSAT‑18 en 2016 et 2017.

Cet article a été publié dans le numéro 0.1 d’Aerospatium, daté du 14 novembre 2015.

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