Beam, le premier module ballon

Beam sera testé sur l’ISS pendant deux ans. Crédit : Bigelow Aerospace.
Pour son retour en vol, la capsule Dragon de SpaceX va livrer à la Station spatiale internationale un module expérimental… gonflable.

La capsule Dragon SpX-8, qui doit être lancée le 8 avril pour ravitailler l’ISS, emportera la plus grosse part de sa charge utile dans son compartiment arrière, non pressurisé, sous la forme du module expérimental Beam (Bigelow Expandable Activity Module) de 1 360 kg.

Une fois la capsule parvenue à la Station, ce module doit être déchargé par le bras robot Canadarm2 et fixé sur une des baies du module Tranquillity.

Beam présente la particularité d’être un module gonflable. Une fois amarré, il sera pressurisé à 1 bar, ce qui entrainera son expansion en moins quatre minutes et demi de 1,7 à 3,7 m de long et de 2,4 à 3,2 m de diamètre jusqu’à atteindre un volume interne de 15,9 m3, soit trois fois celui du module orbital du vaisseau Soyouz. Purement expérimental, le module Beam ne doit pas être occupé ni même utilisé à proprement parler par l’équipage de la Station. D’ailleurs il ne possède pas de système de ventilation propre et l’écoutille d’accès devrait même être conservée fermée pendant l’essentiel de sa mission de deux ans.

Pas de risque d’éclatement

En revanche, son environnement interne va être surveillé pour étudier l’éventuelle déperdition d’atmosphère, les niveaux de radiations et la température à l’intérieur. La paroi du module est composée de quatre couches principales séparées par de la mousse. Elle a été conçue pour qu’en cas de perforation le module se dégonfle lentement mais n’éclate pas, grâce à une structure interne inspirée de l’armature métallique des pneus. Le matériau utilisé – le Vectran – est aussi résistant que le Kevlar, stable à hautes températures et devrait absorber la plupart des radiations mieux que l’aluminium qui tend à les diffuser.

Accessoirement, ses propriétés acoustiques devraient faire de l’intérieur du module l’endroit le plus calme dans l’environnement très bruyant la Station (principalement à causes des ventilations et des nombreux équipements en fonctionnement).

Robert Bigelow (à g.) présente le module Beam. Crédit : Bigelow Aerospace.
Robert Bigelow (à g.) présente le modèle de vol du module Beam en configuration de lancement.
Crédit : Bigelow Aerospace.

Beam a été commandé par la Nasa pour 17,8 M$ en décembre 2012, à Bigelow Aerospace dans le cadre de son programme technologique AES (Advanced Exploration Systems). Sierra Nevada Corp. (SNC) a fourni le dispositif d’amarrage et Boeing – maître d’œuvre du segment non-russe de l’ISS – l’intégration logicielle. S’il tient ses promesses, ce module pourrait préfigurer à échelle réduite de futurs habitats pour des missions au delà de l’orbite terrestre basse, vers la Lune, les astéroïdes proches ou Mars.

Une technologie candidate pour H2020

En Europe, les technologies de modules gonflables sont à l’étude à Turin chez Thales Alenia Space, fournisseur de modules pressurisés pour l’ESA, la Nasa et Orbital ATK depuis le programme Spacelab dans les années 1970. L’industriel travaille depuis longtemps en interne sur de nombreux concepts de structures gonflables, notamment pour des boucliers d’aérocapture ou de rentrée atmosphérique. De telles structures sont aussi envisagées pour multiplier par cinq le volume habitable à masse égale sur orbite, mais aussi pour des habitats lunaires ou martiens, voire pour des cabines de véhicules de surface. Des démonstrateurs au sol ont été réalisés à échelle réduite, avec des parois internes instrumentées et des systèmes intégrés de gestion de la pression. Le financement de premiers développements ou d’études appliquées a été proposé dans le cadre du programme H2020 de l’Union européenne pour la recherche. En 2012, la plateforme SpinIt (Space Innovation in Italy) a notamment présenté un concept de module-serre gonflable G-Home (Green Habitation Orbital Module for Exploration) compatible avec l’ISS. Aucun projet n’a encore été retenu.

Pour des raisons d’encombrement et de diamètre de la coiffe des lanceurs, les grandes structures envoyées sur orbite sont toujours lancées repliées. Une fois parvenu hors de l’atmosphère et selon les besoins, les satellites déploient des panneaux solaires, des radiateurs, des mâts, des antennes et même bientôt des miroirs pliables, comme celui du télescope spatial James Webb en 2018. Pendant plus de cinquante ans cette technologie n’a pas été appliquée aux modules pressurisés, constitutifs des stations, vaisseaux et autres laboratoires habitables, qui ont toujours été lancés « prêts à l’emploi », leur diamètre externe étant donc limité par celui de la coiffe du lanceur. Lancé replié et mis sous pression une fois sur orbite, un module gonflable pourrait offrir aux astronautes un espace de vie bien plus important. Ce bonus serait notamment fort appréciable pour des vols de longue durée loin de la Terre.

Le concept du module gonflable a été étudié dès les années 1960, initialement pour des habitats lunaires. Lors du développement de la Station spatiale, la Nasa a envisagé une solution de ce type comme une alternative au module d’habitat rigide de 4,4 m de diamètre initialement prévu pour abriter les chambres de l’équipage.

Le projet de module TransHab des années 1990. Crédit : Nasa.
Le projet de module TransHab des années 1990. Crédit : Nasa.

Ce module « TransHab » aurait été doté d’une enveloppe externe souple de près de 30 cm d’épaisseur composée de plus d’une vingtaine de couches, la plupart en Kevlar, destinées à servir de protection contre les micrométéorites, le vide et les grands écarts de températures.

Soutenu par les partisans de futures missions vers Mars, ce projet était très controversé, notamment en raison de son coût de développement et parce que la structure d’un module d’habitat classique en aluminium avait été déjà réalisée.

En 2000, le Congrès y a coupé court par un texte de loi interdisant à la Nasa de poursuivre ces études. Le module rigide sera également abandonné quelques années plus tard après l’accident de la navette Columbia.

Hôtel orbital pour touristes spatiaux

La technologie du module gonflable a cependant été cédée dès 1998 à la société Bigelow Aerospace de North Las Vegas, créée pour l’occasion par Robert Bigelow, propriétaire de la chaine d’hôtels Budget Suite. Celui-ci y a vu l’opportunité de développer une station spatiale composée de modules gonflables pour créer un « hôtel » orbital afin d’accueillir les futurs touristes spatiaux, ainsi que des expérimentations, publiques ou privées. Robert Bigelow a déjà investi plus de 250 M$ de sa propre fortune dans le projet.

Concept de station réalisée à partir de modules gonflables et desservie par des capsules commerciales Dragon et Starliner. Crédit : Bigelow Aerospace.
Concept de station réalisée à partir de modules gonflables et desservie par des capsules commerciales Dragon et Starliner.
Crédit : Bigelow Aerospace.

Deux démonstrateurs technologiques Genesis de 11,5 m3 ont été satellisés par des lanceurs Dnepr en juillet 2006 et juin 2007 et ont permis de tester avec succès le concept. Bigelow s’est depuis lancé dans le développement d’un module de 14 m de long et 6,7 m de diamètre (une fois gonflé), pour sa future station. Le développement de celle-ci reste tributaire de l’apparition d’une offre commerciale d’accès à l’orbite, par exemple à l’aide de capsules Starliner de Boeing ou Crew Dragon de SpaceX. Celles-ci sont développées dans le cadre du Commercial Crew Program de la Nasa et doivent voler à partir de 2018 pour desservir l’ISS. Lorsqu’on lui demande quand sa société sera profitable, Robert Bigelow répond : « Demandez à ma femme, cela fait quinze ans qu’elle me pose la question ».

Energiya manque de soutien

Historiquement, la première structure spatiale gonflable était le sas souple utilisé par le cosmonaute Alexeï Leonov pour s’extraire du vaisseau Voskhod 2 le 18 mars 1965.
En 2011, RKK Energiya a entamé des études sur le développement de modules gonflables sur fonds propres et a considéré la possibilité de lancer un démonstrateur réalisé sur la base d’un cargo Progress. Une équipe de recherche a été montée avec le laboratoire TsNIIMach et le fabricant de scaphandres NPP Zvezda, mais n’a apparemment pas fait l’objet d’un financement gouvernemental. Néanmoins, fin 2015, RKK Energiya a fait breveter son concept.

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