Blue Origin réussit son retour avant SpaceX

Le lanceur du New Shepard à son retour. Crédit : Blue Origin.
Le monde entier attendait Elon Musk et finalement c’est Jeff Bezos qui l’a fait. En récupérant son lanceur suborbital, le patron d’Amazon a soufflé la vedette à celui de SpaceX, qui tente de faire de même avec son Falcon 9 orbital.

La deuxième tentative aura été la bonne pour Blue Origin. La firme fondée par Jeff Bezos en 2000, qui poursuit ses développements  sur fonds propres et avec une très grande discrétion, est parvenue à expédier une capsule habitable jusqu’à une altitude de plus de 100 km, et à récupérer aussi bien celle-ci que son lanceur. Le vol a eu lieu depuis le centre d’essais de Blue Origin dans un ranch situé à proximité de Van Horn, dans une région semi-désertique de l’ouest du Texas. Il s’agissait d’une répétition du vol accompli le 29 avril et qui s’était soldé par la récupération sous parachute de la capsule inhabitée New Shepard, après que celle-ci a atteint 93 574 m d’altitude. Le lanceur monoétage, lui, avait été perdu suite à une chute de pression dans le circuit hydraulique.

Ce 23 novembre, tout s’est déroulé selon le plan prévu. Le lanceur monoétage a été installé sur son pas de tir, y a subi une vérification de tous ses systèmes hydrauliques et a décollé à 17 h 21 TU sous les 490 kN de poussée de son unique moteur cryotechnique BE‑3. Propulsé en 150 secondes à la vitesse de Mach 3,72, le lanceur et sa capsule se sont séparés et celle-ci a atteint l’altitude de 100 535 m, dépassant ainsi la « ligne Kármán » qui marque le plancher officiel de l’espace selon la Fédération aéronautique internationale. Le lanceur aurait pour sa part atteint 100,3 km.

Après son vol balistique de quatre minutes, la capsule est retombée, ouvrant ses parachutes à 6 100 m d’altitude pour se poser à 17 h 32TU. De son côté, le lanceur a effectué une descente stabilisée par des volets mobiles et des aérofreins répartis sur un anneau aérodynamique situé à son sommet. Parvenu à 1 500 m d’altitude, il a finalement rallumé pour 22 secondes son moteur BE-3 à poussée modulable, a déployé son train d’atterrissage et s’est posé à la verticale en douceur, au centre de la plateforme prévue à cet effet.

Comparaison n’est pas raison

Bien qu’il s’agisse de deux véhicules très différents, le succès de Blue Origin a été immédiatement comparé aux échecs enregistrés par SpaceX dans la récupération du premier étage de son Falcon 9, les 10 janvier et 14 avril derniers. Les tentatives ont été interrompues suite à l’échec au lancement du 28 juin, mais devraient reprendre dès le retour en vol du Falcon 9.

Le parallèle est pourtant injuste, compte tenu des objectifs différents poursuivis par les deux véhicules. Le lanceur monoétage du New Shepard a pour seul objectif de voler à la verticale jusqu’à 100 km et de redescendre selon une trajectoire similaire, avec une vitesse de pointe inférieure à Mach 4. Tout au plus doit il compenser des vents en altitude qui ont atteint 190 km/h sur ce vol.

De son côté, le premier étage du Falcon 9 est un élément d’un système de lancement conçu pour atteindre des vitesses orbitales avec une trajectoire de satellisation bien plus dynamique. Selon les plans de vol, il atteint une vitesse d’environ 2 km/s, soit Mach 6, avant de se séparer et poursuit sur sa lancée jusqu’à environ 140 km d’altitude. A ce moment, il se trouve déjà à 160 km en aval son point de départ. Il doit effectuer un total de trois allumages pour revenir se poser.

Avant d’imposer à son étage un retour vers son site de lancement, SpaceX a décidé d’effectuer ses premières tentatives de récupération sur une barge automatique équipée d’une piste de 90 x 50 m, ancrée à 300 km du site de lancement.

Lors de la tentative du 10 janvier, l’étage a abordé la barge par le flanc avec une vitesse horizontale excessive et s’y est écrasé. L’analyse des éléments de vol indiquera que toute la réserve de fluide hydraulique a été consommée. Elle sera doublée pour les vols suivants. Le 14 avril, l’apontage a échoué de peu en raison du manque  de réactivité d’une vanne de contrôle du moteur Merlin 1D. Elle n’a pas pu piloter avec suffisamment de « doigté » la baisse de régime. Le lanceur n’a pas réussi à se stabiliser et a basculé sur la barge.

Blue Origin enregistre son premier vol à 100 km. Crédit : Blue Origin.
Blue Origin enregistre son premier vol à
100 km. Crédit : Blue Origin.

Différences de taille

On notera aussi la différence de taille importante entre les deux véhicules. Si le lanceur de la capsule New Shepard mesure quelque 20 m de haut, le premier étage du Falcon 9 mesure 42 m de haut pour une masse à vide de 18 tonnes. SpaceX avait prévu un vol similaire à celui accompli par Blue Origin à l’aide de son démonstrateur Grasshopper 2, mais celui-ci a été détruit en vol le 22 août 2014.

Comme pour SpaceX, la prochaine étape pour Blue Origin sera de faire revoler son lanceur, car si la récupération est une chose, la réutilisation en est une autre. Depuis le Delta Clipper en 1995, plusieurs démonstrateurs ont déjà volé plusieurs fois, mais jamais à cette altitude.

Le programme d’essais de Blue Origin comprendra une douzaine de vols avant l’emport de premiers passagers payants à la lisière de l’espace, mais d’ici là, la forme compte commencer à commercialiser des vols suborbitaux pour des expériences scientifiques dès 2016.

Un accord a été signé dans ce sens avec Nanorack LLC, la société de Jeffrey Manber, l’ancien patron de Mir Corp., qui commercialise déjà l’envoi de cubesats et d’expériences à bord de la Station spatiale internationale.

Difficile atterrissage vertical en douceur

Poser un véhicule à la verticale sous la poussée d’un moteur fusée n’a rien d’anodin. Il suffit de rappeler que le sus-dit véhicule voit sa masse diminuer avec sa consommation d’ergols et doit donc moduler sa poussée en conséquence pour ne pas redécoller. Il doit atteindre une vitesse ascensionnelle nulle à une altitude minimale car en dessous d’une certaine poussée il sera obligé de couper les gaz, et donc de chuter, ce qui pour un objet de grande taille – comme le premier étage du Falcon 9 – n’est pas sans risque. L’objectif de SpaceX est un atterrissage à moins de 6 m/s. Le 23 novembre, Blue Origin a réussi un atterrissage à moins de 2 m/s.

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