La constellation arabe de DigitalGlobe

Le Hadj à la Mecque observé à 1 m de résolution. Crédit : DigitalGlobe.
Est-ce le retour tant redouté de l’industrie américaine sur le marché export de l’observation spatiale ou un moyen pour DigitalGlobe de faire financer son expansion par Riyad ? Le premier opérateur privé de satellites d’observation aux États-Unis s’est associé à Taqnia Space pour créer une constellation de satellites d’observation optique.

L‘accord signé le 21 février entre DigitalGlobe et la filiale spatiale du fonds d’investissement public saoudien Taqnia porte sur le développement et l’exploitation en commun d’une constellation de six satellites optiques à résolution submétrique. Lancés fin 2018 ou début 2019, ces satellites étofferont l’offre de DigitalGlobe – actuellement concentrée entre 60 et 31 cm de résolution en mode panchromatique – tout en assurant un temps de revisite très court, survolant jusqu’à quarante fois par jour pour des sites situés à des latitudes favorables.

Numéro un au Moyen-Orient

Avec ce partenariat, Taqnia Space donne corps à sa volonté affirmée de se positionner comme numéro un des constructeurs de satellites du Moyen-Orient. En pratique ce sera l’Institut aéronautique et spatial de la King Abdulaziz City for Science & Technology (KACST), à Riyad, qui sera chargée de la fabrication et du lancement des satellites. Elle obtiendra en échange la moitié de la capacité d’imagerie au dessus de l’Arabie Saoudite, du Moyen Orient et de l’Afrique du nord, que Taqnia pourra commercialiser. DigitalGlobe se chargera de commercialiser l’autre moitié des images sur la zone, ainsi que la totalité de celles acquises sur le reste de la planète. Pour ses propres activités, Taqnia pourra aussi s’appuyer sur les capacités de traitement et le réseau de distribution d’imagerie de DigitalGlobe.

Retour des États-unis

Taqnia Space a déjà créé une coentreprise avec Lockheed Martin en avril dernier – en marge du contrat pour deux satellites de télécommunications Arabsat – afin d’étudier la possibilité de construire des satellites en commun. Lockheed Martin a construit WorldView 4, le prochain satellite de DigitalGlobe, dont le lancement est prévu le 15 septembre.

Depuis le passage des satellites et de leurs composants sous le régime Itar en 1999, les industriels américains se sont, de facto, exclus du marché export des satellites d’observation à haute et très haute résolution, au plus grand bénéfice de leurs concurrents, européens, israéliens, russes et chinois. Là où les gouvernements étrangers souhaitent disposer en toute indépendance de leurs propres satellites, les offres américaines se limitent le plus souvent à une simple fourniture d’imagerie réalisée par des satellites américains.

L’aéroport de Sanaa (Yémen) à 40 cm de résolution. Crédit : DigitalGlobe.
L’aéroport de Sanaa (Yémen) à 40 cm de résolution. Crédit : DigitalGlobe.

Des besoins régionaux importants

Le Moyen-Orient est depuis longtemps l’un des marchés les plus prometteurs de l’observation à très haute résolution. Le Conseil de coopération du Golfe avait naguère lancé le programme Hud-Hud pour se doter de satellites optiques et radar afin de garder un œil sur le programme nucléaire de son voisin iranien. L’échec des négociations entre les différentes partenaires a abouti en 2013 à la commande par les Émirats arabes unis de leur propre système optique FalconEye à Airbus Defence & Space (pour les satellites) et Thales Alenia Space (pour l’instrument optique). Les deux satellites seront lancés par Vega en 2018 et 2019. Deux satellites similaires seront lancés pour le Maroc en 2017 et 2018, également par Vega. Le satellite turc Göktürk 1, réalisé par TAS, doit être lancé en fin d’année, toujours sur Vega.

Entre-temps, la situation a évolué avec la crise syrienne et l’émergence de la menace Daech. L‘Arabie Saoudite, en guerre au Yémen et sur le point de passer à l’offensive en Syrie ne cache pas ses intentions de se doter elle aussi d’un système de surveillance par satellites, sur le modèle des Émiriens. Le Qatar est également sur les rangs, potentiellement suivi du Koweït et d’Oman.

L’Égypte, aux prises avec Daech au Sinaï et voisine du chaos libyen est elle aussi intéressée par une capacité de surveillance depuis l’orbite. Elle n’a pas eu de chance jusqu’ici : Egyptsat 1, construit par KB Youjnoyé en Ukraine, est tombé en panne en 2010 après trois ans d’opérations, tandis qu’Egyptsat 2 (1 m de résolution), fourni par RKK Energiya et lancé le 16 avril 2014, a cessé de fonctionner le 14 avril 2015. Aujourd’hui, le gouvernement du Caire négocierait avec la France – qui lui a déjà fourni des Rafale et des navires Mistral – pour l’acquisition d’un système optique et radar, ainsi que d’un satellite de télécommunications militaires.

L’arrivée de l’industrie américaine sur ce juteux marché pourrait freiner les commandes de satellites auprès des Européens, en particulier après le vote des parlementaires européens en faveur d’un embargo sur les armes à destination de l’Arabie saoudite en raison du grand nombre de « victimes collatérales » de son offensive au Yémen.

Créer de nouveaux concurrents

Surtout elle favorise l’apparition de capacités industrielles locales, susceptibles à l’avenir de devenir concurrentes sur le marché des petits satellites à résolution métrique, comme c’est le cas aux Émirats arabes unis ou en Turquie. À Doubaï, EIAST (Emirates Institution for Advanced Science & Technology), après avoir obtenu de nombreux transfert de technologies de la part de SatReC en Corée du sud, développe actuellement dans ses propres salles blanches le satellite Khalifasat 1 (70 cm de résolution). À Ankara, Turkish Aerospace Industries (TAI) et Tübitak Uzay ont développé et lancé Göktürk 2 (2,5 m de résolution) sur une technologie SatReC et se sont dotés d’un centre d’AIT (Assemblage, intégration et tests) fourni par Thales Alenia Space, afin d’accéder prochainement à une autarcie dans la production des satellites.

DigitalGlobe a annoncé ses résultats pour 2015 le 25 février, avec un chiffre d’affaires de 702,4 M$ (+ 7,3 %) pour un bénéfice net de 23,3 M$. La marge d’Ebitda a atteint 50,6 %.

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