La cité hanséatique de Brême, capitale spatiale de l’Allemagne du Nord, est le siège de la réunion du Conseil de l’ESA à l’échelon ministériel, qui doit se prononcer sur le financement d’une proposition de budget de 22,25 Md€, présentée par les équipes du directeur général Josef Aschbacher. Les délégations des 23 pays membres, mais aussi celles des quatre pays associés (Canada, Lettonie, Lituanie et Slovaquie), vont décider, au cours de cinq tours de table, de la répartition des fonds à leur disposition pour contribuer aux différentes lignes de budget qui leur sont proposées. Parmi celles-ci figurent des programmes « facultatifs », et une contribution obligatoire couvrant les programmes scientifiques et les budgets de fonctionnement de l’agence.
De l’aveu de Josef Aschbacher, aucune ministérielle ne finance 100 % de sa proposition. Les contributions plafonnent généralement à 90 %. « À partir de 20 Md€ nous pourrons considérer que c’est un grand succès », a déclaré le directeur général.
En plus des 27 pays contributeurs, quatre pays sont venus en observateurs : la Bulgarie, Chypre, la Croatie et Malte. Neuf organisations ont également envoyé des délégations, dont la Commission européenne et quatre de ses agences : l’EDA (European Defence Agency), l’Euspa (European Union Space Programme Agency), le Centre satellitaire (SatCen) et l’Agence européenne pour l’environnement. Eumetsat, l’ESO (European Space Observatory), l’ESF/ESSC (European Space Foundation/European Space Sciences Committee) et l’OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques) sont aussi représentés.
Une collection de menaces
Cette année, une ambiance particulière pèse sur les débats, avec une multiplication des références aux menaces qui pèsent sur le vieux continent. La menace de déclassement économique face aux États-Unis et à la Chine a été mise en évidence par Josef Aschbacher dans ses propos liminaires, qui a reconnu que les budgets nationaux étaient tendus mais n’en a pas moins souligné que « l’Europe représente 24 % du PNB mondial, mais ne représente que 10 % de l’investissement mondial dans le spatial ». La menace climatique est dans tous les esprits, après le semi-échec de la conférence COP30 qui s’est tenue à Bélem, au Brésil, du 10 au 22 novembre, mais aussi avec les récentes inondations qui ont frappé l’Italie et la Grèce ces derniers jours.

Surtout, la menace géopolitique est dans tous les esprits, renforcée par la présence du commissaire lituanien Andrius Kubilius, en charge de l’espace et de la défense, qui dénonce depuis sa nomination en décembre 2024, les visées de la Russie contre les démocraties occidentales. En France, le discours du chef d’état major des armées, le général Fabien Mandon, lors du 107e congrès des maires, le 18 novembre, sur la possibilité d’un conflit avec la Russie d’ici 2030, s’inscrit dans cette ambiance générale.
Dans son document de 27 pages, « Elevating the Future of Europe through Space », qui résume la proposition aux ministres, le directeur général de l’ESA a usé d’un vocabulaire habituellement plutôt rare dans les résolutions d’une agence dédiée à la recherche spatiale « à des fins pacifiques » comme la décrit sa charte, entrée en vigueur il y a cinquante ans. Ainsi, on y retrouve 37 fois chacun les mots « résilience » et « stratégique », et même dix fois « géopolitique » et sept fois « souveraineté ».
« La spatial est dual par essence », a rappelé Josef Aschbacher, « les lanceurs et les satellites météorologiques développés par l’ESA servent depuis longtemps aux militaires ». Avec des programmes tels que Galileo ou GovSatCom, l’ESA et l’Union européenne ont déjà mis en place des infrastructures duales, et les futurs programmes Iris2 (Infrastructure for Resilience, Interconnectivité and Security by Satellite) et ERS (European Resilience from Space) s’inscrivent dans leur continuité.
La France déclassée
En dépit des difficultés financières qu’ils rencontrent par ailleurs, la plupart des pays sont venus avec l’intention d’augmenter leur contribution à l’ESA, que ce soit les plus grands, comme l’Allemagne (5,4 Md€ annoncés), l’Italie (4,3 Md€) ou le Royaume-Uni (3 Md€), des contributeurs moyens comme l’Espagne (550 M€) ou les plus humbles comme l’Irlande (170 M€).

Dans ces conditions, l’arrivée de la France – dont la souveraineté a longtemps été le cheval de bataille – avec un budget limité à 3,6 Md€ semble déplacé, mais en l’absence d’un budget national clairement défini, les mains de Philippe Baptiste, ministre de l’Enseignement supérieur, de la recherche et de l’Espace, sont liées. Une grande partie de ces fonds ira vers les lanceurs – outils de souveraineté – en revanche, Paris se tiendra en retrait sur le programme ERS, estimant que ce type d’activité relève davantage de la Commission européenne.
Au matin du 26 novembre, Josef Aschbacher a annoncé que les souscriptions pour le volet d’observation de la Terre du programme ERS (ERS EO) resteraient ouvertes pendant un an, afin de permettre à certains pays, confrontés à des difficultés financières, d’investir ultérieurement. Ce serait notamment le cas des Pays-Bas et de la Belgique, mais peut-être, également, de la France.
Hasard du calendrier, rappelé par Philippe Baptiste dans son allocution, ce 26 novembre marque le 60e anniversaire de la mise sur orbite d’Asterix, sur le premier lanceur Diamant A, qui avait fait de la France la troisième puissance spatiale mondiale, après l’Union soviétique et les États-Unis. C’était aussi la première fois que l’Europe atteignait l’orbite. Hélas, cette année, la France sera aussi rétrogradée à la troisième place des contributeurs de l’ESA, réduisant d’autant son poids dans les discussions.
Signe du faible intérêt portée par les Français à ce qui est en train de se décider ici, seuls trois médias nationaux ont fait le déplacement : l’AFP, le quotidien économique Les Échos, et bien sûr Aerospatium.
La Nasa à la rescousse
Bonne nouvelle aussi à l’ouverture de cette ministérielle, l’administrateur de la Nasa par intérim, Sean Duffy, a confirmé que les deux contributions américaines qui restaient incertaines pour la mission ExoMars 2028, avec l’astromobile Rosalind Franklin, seront bien fournies, à savoir le lancement et réchauffeur radio-isotopique (RHU : Radioisotope Heater Unit) qui doit permettre de protéger l’électronique de bord du froid martien.

Rendez-vous demain 27 novembre à 13 h 00 pour le résultat des négociations. Les chiffres définitifs, eux, seront publiés le 1er décembre.
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