IAG-Lufthansa : destins croisés

IAG s'impose comme le groupe de transport aérien traditionnel le plus rentable d'Europe. Crédit : British Airways
Après des années d’efforts, les poids lourds européens International Airlines Group (IAG) et Lufthansa Group se sont désormais largement détachés devant Air France-KLM. Retour sur des stratégies payantes.

IAG et Lufthansa se sont imposés comme les deux champions du transport aérien traditionnel européen en 2015. Les deux groupes n’y sont arrivés qu’au prix de plusieurs années d’efforts.

Tous deux sont passés par des étapes similaires avec d’importantes restructurations, une politique de croissance externe et par une remise en cause de leur modèle, avec notamment l’intégration d’une composante à bas coût importante. Pourtant les chemins qu’ils ont empruntés diffèrent assez largement.

Consolidation

À l’instar des compagnies américaines qui se sont toutes consolidées entre 2007 et 2013, les majeures européennes se sont rapprochées ces dernières années. Cette solution s’impose en effet comme le meilleur moyen de jouer des effets de réseaux et de la rationalisation des coûts face à la pression conjuguée des compagnies asiatiques et du Golfe sur le long-courrier et des low cost sur le moyen-courrier, qui disposent de coûts d’exploitation moindres.

Air France et KLM ont même été les premières à lancer le mouvement avec leur fusion dès 2004, tandis que Lufthansa a privilégié les rachats d’autres compagnies. Le groupe allemand acquiert ainsi Swiss International Air Lines en 2005, une partie du capital de Brussels Airlines en 2008, ou encore Austrian Airlines et Germanwings en 2009. Il fait alors figure d’ogre et croît rapidement à la faveur de la bonne santé du transport aérien.

Les auspices sont loin d’être aussi favorables pour British Airways et Iberia lorsqu’ils entament leur rapprochement en 2010. Le transport aérien a connu un sérieux coup d’arrêt en 2009 et s’apprête à connaître de nouveaux ralentissements, notamment en Europe où sévit une crise économique et monétaire. De plus la situation n’est pas florissante pour les deux compagnies et l’opération apparaît comme risquée. British Airways relève juste la tête après une passe difficile à la fin des années 2000, tandis que son homologue espagnole est en proie à des difficultés économiques endémiques et n’a pas encore entamé son évolution. En 2009, les pertes opérationnelles cumulées des deux entités atteignent 910 M€. Les réserves sur les chances de succès du projet sont alors nombreuses.

British Airways dispose tout de même d’un sérieux avantage. La compagnie britannique a dû affronter plusieurs crises au cours des années 2000, à commencer par l’effondrement du trafic transatlantique après le 11 septembre 2001. Elle a donc déjà largement entamé sa restructuration, et celle-ci ne fait pas dans la demi-mesure. Elle n’a ainsi pas hésité à mettre en place une politique d’attrition – à l’image de celle proposée il y a quelques mois par Air France-KLM dans son Plan B. La flotte est réduite, le réseau domestique point-à-point est en partie abandonné, les conditions de travail sont remises en cause et plus de 15 000 emplois supprimés entre 2002 et 2008.

Si cela n’empêche pas British Airways de connaître une fois de plus des pertes sévères avec la crise de 2008-2009, qui conduiront à de nouvelles mesures d’économies, l’essentiel du travail est fait. La compagnie est prête à repartir de l’avant dès 2011, avec une culture de maîtrise des coûts profondément ancrée.

Mimétisme

Cette expérience bénéficie naturellement à Iberia. Si en 2011, la compagnie espagnole est loin d’avoir franchi le pas, elle prend rapidement le pli. Un premier plan de restructuration est adopté en 2012. Largement déficitaire depuis la crise de 2008, la compagnie espagnole réduit sa capacité, coupe les salaires et n’hésite pas à supprimer 3 800 postes en 2013, soit près du quart de ses effectifs. Malgré une embellie dès 2013, un plan de départs volontaires de 1 500 personnes est annoncé en 2014.

IAG est en ordre de marche dès 2013 et peut donc profiter pleinement du redémarrage du transport aérien actuel au contraire de son concurrent allemand. Cela se traduit par la mise en place d’une nouvelle politique de croissance interne comme externe. Par ailleurs, les activités cargo du groupe sont aussi consolidées dans une nouvelle entité unique, baptisée IAG Cargo.

Cette augmentation est principalement le fait de la croissance externe du groupe avec l’arrivée de Vueling, Bmi et Aer Lingus, mais British Airways comme Iberia ont aussi connu une progression de leurs parcs respectifs. Les deux compagnies exploitent ainsi 420 avions, filiales comprises. Elles ont notamment profité du dynamisme du trafic international pour accroître leurs capacités long-courrier. British Airways compte ainsi 141 gros-porteurs, dont des A380 et des 787, contre 131 prévus. De son côté Iberia ne devait plus disposer que de 29 A330/340. Ce chiffre a finalement crû jusqu’à 33. La compagnie espagnole a aussi limité la diminution du nombre de ses moyen-courriers et augmenté la taille de sa flotte régionale.

L’ambition retrouvée d’IAG

Lors de sa création en 2011, IAG affichait des ambitions modérées. Marqué par la culture de maîtrise à tout prix des coûts d’exploitation de British Airways, les difficultés d’Iberia et l’environnement économique européen instable, le groupe visait avant tout une consolidation de son activité sur ses points forts. En 2012 IAG, qui exploitait 377 avions (Iberia et British Airways), prévoyait ainsi une diminution de la flotte à 358 appareils d’ici 2015 avec le retrait d’une trentaine d’appareils court et moyen-courrier, notamment dans les filiales régionales.

La situation change à partir 2013, à la faveur du redémarrage du trafic européen. Grâce aux efforts de restructuration déjà faits, notamment chez British Airways depuis plus de 10 ans, IAG est prêt pour saisir cette croissance et met en place une politique de développement. La taille de la flotte croît alors fortement, jusqu’à atteindre 529 avions aujourd’hui avec 211 appareils en commandes fermes (et 232 autres en options).

Iberia va renouveler sa flotte avec 16 Airbus A350-900 en commande ferme. Crédit : Airbus

Après sa forte croissance externe, Lufthansa fait le choix de se concentrer sur ses actifs – sans doute poussé par la dégradation du marché à partir de 2009. Malgré un grand nombre de facteurs positifs, avec l’augmentation de son trafic et de ses revenus unitaires, Lufthansa est confronté à l’explosion de ses dépenses notamment pour le carburant. Malgré un sursaut en 2010, ses résultats se dégradent.

À son tour, Lufthansa est donc obligé de procéder à une restructuration. Il adopte donc en 2012 un large plan d’économies, baptisé Score (synergies, coûts, organisation, revenus et exécution). Il doit améliorer son profit opérationnel de 1,5 Md€ entre 2011 et 2015. Près de 4 000 projets sont ainsi identifiés pour améliorer les recettes et diminuer les coûts.

Parmi les principaux axes retenus, on retrouve la diminution des coûts en carburant (aidée par l’évolution des cours du pétrole), l’abandon des actifs déficitaires avec la vente de Bmi et la rationalisation du réseau ou encore l’amélioration du produit notamment sur les classes premium. Le groupe s’emploie aussi à mieux absorber sa croissance des années 2000 et ses nombreux rachats. Une nouvelle organisation est mise en place et des chantiers sont lancés pour accroître les synergies entre les différentes filiales.

À voir les résultats 2015, le plan Score n’a pas atteint tous ses objectifs. Il a néanmoins permis à Lufthansa de redresser progressivement la barre avec une amélioration des résultats en 2014, poursuivie en 2015. Après des années de maîtrise de ses capacités, le groupe allemand devrait enfin pouvoir repartir fortement de l’avant cette année. Mais force est de constater qu’il a pris deux ans de retard sur IAG.

Les efforts continus de lufthansa

Si 2015 a été un bon exercice pour Lufthansa, le groupe allemand est conscient d’avoir été favorisé par la baisse des coûts du pétrole et les effets de change. Il va donc continuer de faire des efforts pour faire repartir ses coûts unitaires à la baisse, notamment chez Eurowings afin de rendre sa filiale low cost compétitive sur le court comme le long-courrier. La pression est forte alors que les prix et les revenus unitaires hors effets de change devraient continuer de baisser significativement. La direction devra néanmoins composer avec ses personnels, notamment navigants, qui multiplient les actions pour défendre leurs conditions de travail depuis plusieurs années. Seul un accord a été trouvé en début d’année avec les hôtesses et stewards.

Lufthansa entend tout de même profiter de la hausse du trafic mondial, avec une augmentation de ses capacités de 6,6 % en 2016. Si les entités traditionnelles progresseront de 4,3 %, la croissance sera portée par Eurowings avec une hausse de plus de 35 %. Le groupe espère ainsi engranger un résultat opérationnel légèrement supérieur à celui de 2015 (1,6 Md€).

 

Stratégies

Ces périodes de transition sont aussi l’occasion pour les deux groupes de dessiner leurs stratégies respectives pour plusieurs années. A la suite de la recomposition d’Iberia, IAG met en œuvre un certain nombre de préceptes pour se développer : affirmer une position dominante sur les hubs du groupe (d’abord Londres et Madrid, puis Barcelone, Rome et Dublin), être profitable sur le réseau intra-européen et se renforcer sur le trafic transatlantique (vers l’Amérique du Nord pour British Airways, Latine pour Iberia). Tous ces objectifs doivent néanmoins répondre aux sacro-saintes exigences de compétitivité sur les coûts.

Pour y arriver, IAG se lance dans un mouvement de croissance externe via le rachat de compagnies. C’est Bmi (ex-British Midlands), propriété de Lufthansa, qui tombe en premier dans l’escarcelle du groupe, avant d’être intégrée dans British Airways. La compagnie permet notamment à IAG de se renforcer sur Londres-Heathrow où Bmi disposait de créneaux horaires précieux.

Vient ensuite Vueling dont l’acquisition sera complétée en 2013. Cette arrivée permet de disposer d’un outil à bas coût pour la desserte de l’Europe. Elle entraîne logiquement une réorganisation du réseau domestique et européen d’Iberia, qui ne disparaît pas pour autant. La compagnie se recentre sur son hub de Madrid et laisse certaines destinations à la nouvelle filiale à bas coût du groupe. C’est le cas de Barcelone, qui est le cœur du réseau de Vueling.

L’expansion se poursuit en 2015 avec l’acquisition progressive d’Aer Lingus. Cela s’inscrit dans la volonté de British Airways, et a fortiori IAG, de retrouver une position dominante sur le trafic transatlantique. Un grand pas avait d’ailleurs été fait dans ce sens dès 2009 avec la création d’une coentreprise entre la compagnie britannique, Iberia, American Airlines puis Finnair. Cette structure permet de mutualiser l’offre, de partager les recettes et de répartir les risques.

Croissance pour IAG

Auteur d’un exercice record l’an passé, IAG entend continuer sur sa lignée en 2016. Le groupe a annoncé qu’il visait une augmentation de son profit opérationnel similaire à celle réalisée entre 2014 et 2015. Celui-ci avait bondi de pas moins de 945 M€ pour atteindre 2,3 Md€. La barre des 3 Md€ pourrait donc être franchie. Le chemin vers cet objectif passera par une politique toujours stricte d’encadrement des coûts, d’autant que ceux-ci ont fortement augmenté avec l’intégration d’Aer Lingus l’an dernier, mais aussi par un développement du trafic. Pour cela, le groupe va augmenter ses capacités de plus de 10 % (5 % pro forma) en 2016. La croissance sera répartie sur l’ensemble des compagnies du groupe, mais Vueling et Aer Lingus devraient être les plus dynamiques.

 

Lufthansa a lancé son plan d'économies Score en 2012. Crédit : Lufthansa.
Lufthansa a lancé son plan d’économies Score en 2012. Crédit : Lufthansa.

double jeu

De son côté Lufthansa développe sa stratégie actuelle en parallèle de son plan Score. Duale, elle comprend un axe haut de gamme qui repose sur les compagnies traditionnelles Lufthansa, Swiss et Austrian Airlines opérant depuis leurs hubs respectifs, ainsi qu’un segment à bas coût décentralisé. C’est ainsi que Germanwings récupère petit à petit l’ensemble du trafic court et moyen-courrier point-à-point de Lufthansa – situé donc hors des hubs de Francfort et Munich. À l’instar de British Airways au début des années 2000, la compagnie allemande se débarrasse de l’exploitation d’une partie de son activité domestique et européenne, à une différence près : elle garde la main dessus via sa filiale low cost Germanwings.

En 2015, cette dernière est néanmoins englobée dans Eurowings. Cette nouvelle marque est chargée de porter l’activité à bas coût avec la reprise du moyen-courrier point-à-point, mais aussi avec la création d’un segment low cost long-courrier complémentaire avec celui des opérateurs traditionnels du groupe. Ce vieux rêve n’a pour l’instant jamais réussi à se concrétiser dans la durée en Europe. A l’instar de Norwegian, Lufthansa compte bien le réaliser et peut-être ainsi prendre un coup d’avance sur IAG.

Distancées au début des années 2010, British Airways et Iberia ont donc fait un pari payant avec leur fusion au sein d’IAG. Non contentes de revenir dans le jeu européen, elles ont réussi à en prendre la tête devant Lufthansa et a fortiori Air France-KLM. Si IAG semble avoir les cartes en mains pour conserver cette position dominante encore quelques années, le vent peut toujours tourner au moindre relâchement. Air France-KLM l’a appris à ses dépends il n’y a pas si longtemps.

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