La bataille des monocouloirs

Le 737MAX a été lancé en retard sur les neo d’Airbus. Crédit : Boeing.
Les monocouloirs règnent aujourd’hui en maîtres sur les carnets de commandes, ce qui a aiguisé les appétits des concurrents du duopole américano-européen. Ces nouveaux arrivés cherchent maintenant à rebattre les cartes.

Le créneau des monocouloirs va être le terrain d’une bataille âpre entre les constructeurs. Pas moins de cinq avionneurs vont se disputer un gâteau estimé à 15 000 appareils ces prochaines années. Le parti-pris d’Airbus lors de la conception de l’A380 a été battu en brèche avec l’arrivée des compagnies à bas-coûts. Depuis quinze ans, on assiste à une transformation très importante du transport aérien : les passagers ne privilégient pas les voyages long-courriers de hub à hub, mais les vols très peu chers de métropoles régionales à villes moyennes pour des durée plus courtes qui nécessitent des rotations plus fréquentes. Le modèle de Ryanair, précurseur en la matière, a fait florès sur tous les continents. Cet exemple est aujourd’hui suivi aussi par le gouvernement indien pour permettre à son milliard d’habitants de se déplacer à prix raisonnable.

Aux côtés des deux principaux constructeurs mondiaux que sont Airbus et Boeing, qui ont chacun lancé une version remotorisée de leur meilleure vente, la famille A320 pour l’Européen et le 737 pour l’Américain, ce marché gigantesque a aiguisé les appétits des concurrents potentiels. Leur positionnement leur réussit pour l’instant extrêmement bien. Fin mai, Airbus avait enregistré 5 054 commandes pour la famille neo et Boeing 3 714 commandes pour la famille 737MAX. L’aéronautique étant également une question de prestige nationale, les grands pays ont profité de ce marché en plein essor pour lancer leur propre version.

La Russie veut revenir en force et le Canada aussi

Les Chinois de Comac se sont largement inspirés de l’A320 pour concevoir leur C919. Il sera d’ailleurs exclusivement motorisé par le dernier moteur de CFM, le Leap-1C. Son premier vol a précédé de trois semaines celui des Russes d’Irkut, qui ont, pour la première fois depuis la fin de l’Union Soviétique, présenté un nouvel appareil de cette capacité. Le MC-21 partage avec le C919 la caractéristique d’être principalement destiné au marché intérieur de ces deux immenses voisins, même si ces appareils seront sans doute aussi vendus à des pays satellites.

Le C919 pourrait capter une partie du marché chinois. Crédit : Comac.

CFM est le grand gagnant

Présente sur trois des plus grands programmes actuels avec les trois types de Leap, la co-entreprise franco-américaine CFM International est la grande gagnante de cette bataille. Le Leap-1A équipe plus de la moitié de la flotte des A320neo commandés et la totalité des 737MAX et des C919. Cela laisse seulement quelques miettes à ses concurrents, et notamment Pratt & Whitney, qui rencontre des problèmes de mise au point pour le PW110G qui doit équiper l’autre partie de la flotte des neo.

Pour répondre à ce marché en forte expansion, Safran et GE ont mis en place une production innovante qui pèse lourd sur leur budget. Le positionnement de GE, qui mise tout sur les innovations numériques, pourrait leur permettre aussi de continuer à dominer ce marché, auquel on promet un bel avenir. Seule ombre au tableau : les compagnies pourraient se tourner finalement vers de plus gros porteurs avec une croissance forte de la demande, ce qui reste le pari de Airbus. L’avionneur continue à croire au futur de l’A380, équipé lui de Rolls-Royce Trent 900 ou de GP7200 conçu par Engine Alliance, formé de GE et P&W.

Le vrai perturbateur du duopole américano-européen vient du Canada. En se lançant à corps perdu dans la construction du CSeries (100 et 300), Bombardier a voulu bousculer un marché qui ronronnait. Il a déjà réussi une partie de son pari en livrant ses deux premiers clients, tous les deux en Europe : Swiss et Air Baltic. Les deux compagnies à bas coûts correspondent très exactement au profil des acheteurs potentiels de ses nouveaux appareils. Elles recherchent la fiabilité, une extrême flexibilité avec une flotte normalisée, qui permet de remplacer un appareil par un autre en cas de retard lors d’une rotation.

L’économie de carburant – entre 15 et 20 % pour tous ces nouveaux appareils – est identique.

Bombardier a fait le choix de soutenir ce programme coûte que coûte, car son échec signifierait probablement la disparition à moyen terme de l’industrie aéronautique au Canada. Les subventions du Québec et du gouvernement fédéral vont dans le sens du maintien d’une industrie de prestige dans le pays. La commande de la compagnie américaine Delta Airlines pour 75 CS100 montre qu’il y a une place pour Bombardier dans cette compétition mondiale.

La plainte de Boeing contre les subventions nationales est aussi la preuve que les Américains prennent la concurrence au sérieux. La situation de Bombardier le pousse en effet à casser les prix pour maintenir les lignes de fabrication à flot, avec une conséquence inattendue : le constructeur, très présent sur les bizjets, braderait également les appareils de ce segment de marché.

Dans un contexte déjà difficile pour les avions d’affaires, cette attitude empêcherait le marché de repartir à la hausse et handicaperait la concurrence, notamment Dassault, qui souffre d’un euro peu compétitif.

Le prix bas du pétrole perturbe le marché

Le succès des monocouloirs plus économes devrait se maintenir d’ici 2030. Le prix du pétrole, moins élevé que prévu, n’a pas empêché les commandes de neo et de MAX de se poursuivre à un rythme soutenu. Néanmoins, certaines compagnies ont différé leurs achats, voire ont choisi de commander des versions plus anciennes, beaucoup moins chères. CFM International (co-entreprise de GE et Safran) a encore vendu plus de 700 CFM56 en 2016 (le moteur de l’A320 entre autres), alors que le motoriste pensait que la production se tarirait en même temps que celle de Leap décollerait.

Par ailleurs, pour que la stratégie commerciale des compagnies réussisse, elles ont besoin d’investissements publics conséquents. Les villes moyennes ou les capitales provinciales ont besoin d’aéroports performants et modernes, à l’instar de Nantes, Berlin (toujours empêtrée dans le désastre de l’aéroport Willy-Brandt, qui accuse maintenant six ans de retard), ou l’Inde.

New Delhi a pris le taureau par les cornes en lançant un grand programme de construction d’infrastructures. La Chine construit elle aussi des aéroports par dizaines, avec près de 70 nouveaux aéroports prévus d’ici 2020. Autre élément important pour ces nouveaux pays du transport, le besoin en pilotes, qui a été évalué à 500 000 d’ici 2034, soit plus de 30 000 par an. Des écoles comme l’ENAC se sont lancées sur ce marché, en étudiant ou signant des partenariats avec des pays à très forte croissance, comme l’Indonésie, l’Iran ou la Chine.

Ce dernier pays veut aussi augmenter de façon massive sa capacité, avec la construction de un aéroport par mois, selon le chef vendeur d’Airbus John Leahy. De quoi garantir une croissance forte les prochaines années, et de beaux jours aux monocouloirs.

Le premier A320 neo a été livré à easyJet le 14 juin. Crédit : easyJet.

Easyjet, un client majeur

Tom Enders est venu en personne et sans cravate remettre à la direction d’easyJet leur 300e Airbus et premier neo. Malgré son jeune âge – vingt ans cette année – la compagnie londonienne est devenue un porte-parole indispensable au constructeur. Sa flotte très récente, fiable et constituée uniquement d’A320 est en effet une des clefs du succès de la compagnie. Son choix de faire confiance à Airbus plutôt que Boeing pour les versions remotorisées est un signal fort alors que son trafic en Europe ne cesse d’augmenter. EasyJet bénéficie en outre d’une image plus consensuelle que Ryanair, même si la compagnie irlandaise est encore largement en tête en terme de trafic et de revenus (6,5 Md€ pour Ryanair en 2016 contre 5,2 Md€). EasyJet a néanmoins publié un avertissement en raison de son exposition au Brexit et de la chute de la livre, qui pourrait influer sur ses commandes futures.

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