La coalition contre Daech s’organise sans l’Europe

Les Tornado allemands sont partis pour la Turquie. Crédit : Luftwaffe, Schmidt.
Les États-Unis et la France font pression sur leurs alliés européens, qui décident au cas par cas de leur participation à la force aérienne contre Daech en Syrie. Cela met en lumière l’absence criante d’une unité européenne en matière de défense.

Les Américains font pression sur leurs alliés – avec un succès mitigé. Alors que les Pays-Bas ne veulent pas prendre de décision sur leur participation à la coalition en Syrie « avant au moins janvier », comme l’a expliqué le Premier ministre Mark Rutte en fin de semaine, les Allemands se sont montrés plus dociles.

La chambre des députés, le Bundestag, a voté l’envoi de d’une frégate et d’un navire de soutien au porte-avions français « Charles-de-Gaulle », ainsi que de six Tornado vers la Turquie, d’où ils assureront, à partir de janvier seulement, des missions de reconnaissance et d’appui pour les forces qui frappent Daech.

Les députés allemands, en général très réticents à toute intervention armée, se sont montrés pour une fois fermes face à la menace de l’État islamique, alors que les attentats de Paris et les menaces outre-Rhin ont fait monter la tension. C’est à une très large majorité qu’ils ont voté la participation des forces allemandes à la coalition.

Néanmoins, cet effort est très modeste rapporté au poids économique de l’Allemagne et des implications pour toute l’Europe de ses choix politiques, elle qui a unilatéralement ouvert les portes de l’Union aux migrants depuis le mois d’août. Et les États-Unis ne se sont pas priés pour le faire savoir. Selon l’hebdomadaire Spiegel, le ministre de la Défense Ursula von der Leyen a reçu de son homologue américain un courrier réclamant une plus grande implication du pays dans la guerre contre Daech.

Le gouvernement allemand n’aurait pour l’instant pas répondu. Les États-Unis aimeraient en fait que les forces allemandes participent également aux frappes aériennes, et pas seulement aux missions de soutien.

En Grande-Bretagne, l’envoi d’avions a été voté par la chambre des Communes le 3 décembre. Dès le soir même, les chasseurs britanniques participaient aux frappes. La participation de l’armée britannique reste très discutée dans l’opinion, encore marquée par les retombées désastreuses de l’engagement en Irak en 2003. C’est finalement le discours du député travailliste Hilary Benn, pourtant opposant politique du Premier ministre David Cameron, qui a emporté les suffrages de ses collèges. Huit avions supplémentaires – deux Tornados et six Typhoons, en attente à Chypre – ont aussitôt été ajoutés à la coalition. D’autres pays ont fait le choix inverse. Le Danemark, qui avait envoyé 140 hommes et sept F-16 combattre Daech en 2014, les a retirés fin août pour maintenance et repos des troupes. La Belgique avait fait de même dès juillet. Les attaques de Paris n’ont pas changé la tendance.

L’Europe apporte un soutien symbolique

Pourtant, et pour la première fois depuis sa signature, un État a fait jouer l’article 42-7 du Traité de l’Union Européenne au lendemain des attaques qui ont fait 130 morts le 13 novembre à Paris. La France, attaquée sur son sol, a demandé conformément au traité le soutien de l’Union européenne dès le 17 novembre. Et l’UE lui a accordé tout son appui… symbolique. Ajoutée au traité de Lisbonne en 2009, cette clause de solidarité n’engage ni l’Union, ni les États membres, chacun ayant la liberté de réagir à sa guise.

S’ils « doivent assistance », selon les termes du traité, au pays attaqué « cela n’affecte pas le caractère spécifique de la politique de sécurité et de défense de certains États membres. » La fin de l’article réduit encore plus la portée de la solidarité européenne : « Les engagements et la coopération dans ce domaine demeurent conformes aux engagements souscrits au sein de l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord, qui reste, pour les États qui en sont membres, le fondement de leur défense collective et l’instance de sa mise en œuvre. » Exit donc l’Europe, au profit d’une défense menée par les États-Unis.

Les réponses des différentes instances européennes sur la question ne laissent d’ailleurs planer aucun doute : « L’UE soutient la coalition mondiale contre Daech mais ne participe pas aux activités militaires. Nous sommes actifs en matière d’aide humanitaire, de diplomatie dans le cadre du processus de Vienne », a expliqué une porte-parole de la Commission européenne pour les affaires extérieures. Même son de cloche du côté de l’Agence européenne de défense (AED), qui s’occupe de recherche et de projets capacitaires, mais pas d’organisation de moyens, et encore moins d’actions concrètes. L’Union européenne, attaquée sur son sol par une organisation terroriste, se retrouve finalement dans l’incapacité de réagir. L’échec de l’Europe de la défense, actée en 1954 par le rejet par l’Assemblée nationale de la Communauté européenne de défense (CED), n’a jamais été dépassé.

Cet article a été publié dans le numéro 0.3 d’Aerospatium, daté du 12 décembre 2015.

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