Qui contrôle l’espace aérien de Daech ?

Un Su-24M russe basé à Hmeymim en Syrie. Crédit : Ministère russe de la Défense.
Le ciel est encombré au dessus du Moyen Orient. Daech dispose de défenses à basse altitude contre lesquelles les aviations savent se prémunir, mais la coordination entre les forces en présence s’avère difficile.

Le porte-avions nucléaire français « Charles-de-Gaulle » a été déployé en Méditerranée orientale avec son groupe aéronaval comprenant cinq navires français et une frégate belge. Le navire amiral français embarquait à son bord dix-huit Rafale Marine, huit Super-Étendard Modernisés (qui effectuent leur dernier déploiement avant leur retrait en 2016) et deux avions radar Hawkeye. Ces appareils ont commencé leurs rotations sur la Syrie et le nord de l’Irak dès le 23 novembre, renforçant les six Rafale M et six Mirage 2000D basés aux Émirats Arabes Unis et en Jordanie.

Lorsqu’ils pénètrent dans l’espace aérien du territoire de Daech, ces appareils ne risquent pas d’être interceptés par une aviation djihadiste inexistante ou par des missiles sol-air longue portée que l’État islamique autoproclamé n’a pas réussi à se procurer jusqu’ici. Selon les sources publiques, les moyens dont disposerait Daech pour se défendre contre des attaques aériennes se limiteraient à du matériel de courte portée, avec des missiles sol-air portables russes SA-16 Gimlet (9K310 Igla 1) ou SA‑24 Grinch (9K338 Igla S), américains FIM-92 Stinger ou chinois FN-6, dont la portée va de 500 m à 6 km. Les troupes djihadistes déploieraient aussi quelques canons antiaériens ZSU-23-4 Chilka d’origine soviétique, bulgare ou polonaise, ainsi que des mitrailleuses lourdes Douchka, principalement contre les hélicoptères jusqu’à 2,5 km de distance. Des canons AZP S-60 de 37 mm, également de fabrication soviétique, seraient capables d’engager jusqu’à 4 voire 6 km (avec une assistance radar).

Au dessus de la Syrie et de l’Irak, les appareils français effectuent donc leurs frappes selon des plans de vol prenant en compte des « gabarits » qui les maintiennent hors de portée des armes de Daech, explique le colonel Gilles Jaron de l’État-major des Armées. Les frappes sont effectuées à distance de sécurité avec des munitions « intelligentes ».

La problématique serait bien différente s’il s’agissait de déployer des appareils d’attaque au sol ou des hélicoptères antichars pour appuyer les troupes au sol.

Interception à la frontière turque

En revanche, la coordination des missions entre les différentes aviations en présence, poursuivant des objectifs parfois incompatibles, est un défi opérationnel et diplomatique de tous les instants, ainsi qu’en témoigne l’accident frontalier du 24 novembre, qui a vu deux F-16 turcs armés de missiles air‑air AIM‑9X Sidewinder, abattre un bombardier russe Su-24M Fencer D après une incursion de 17 secondes dans l’espace aérien d’Ankara. L’incident s’est produit à proximité de la province de Hatay – dont la Syrie n’a reconnu qu’en 2004 l’annexion par la Turquie en 1939 – alors que l’appareil revenait d’une mission de bombardement de positions contrôlées par les rebelles turkmènes soutenus par Ankara. L’interception est intervenue après plusieurs avertissements par le contrôle aérien militaire turc alors que le Su-24 s’aventurait dans la zone à moins de 15 km de la frontière turque qu’Ankara aimerait placer sous sa protection. Il a été abattu à 4 km de la frontière, côté syrien.

Parmi les mesures prises par Moscou suite à cette attaque, il y a l’annonce d’une couverture aérienne par des chasseurs pour les prochaines missions de bombardement, ainsi que le déploiement aux abords de Lattaquié du croiseur lance-missiles « Moskva » disposant de missiles antiaériens de longue portée S-300FM capable d’engager des cibles à Mach 8,5 jusqu’à 150 km.

Un Hawkeye français à l’appontage. Crédit : Ministère français de la Défense.
Un Hawkeye français à l’appontage. Crédit : Ministère français de la Défense.

Difficile cohabitation

L’intervention russe qui a débuté le 30 septembre a vu le déploiement de 34 avions (12 Su-25SM d’attaque au sol, 12 bombardiers Su-24M, 6 chasseurs-bombardiers Su-34 et 4 chasseurs Su-34SM) sur la base de Hmeimim, près de Lattaquié. Ils ont été renforcés fin novembre par douze de plus (8 Su-34 et 4 chasseurs Su-27). Pour que ceux-ci puissent « cohabiter » dans le ciel de Syrie avec les appareils de la coalition menée par les États-Unis, Moscou a été contraint de signer un accord de « déconfliction » le 20 octobre. Celui-ci établit certaines procédures pour les communications entre les équipages et les centres de contrôle et oblige notamment les pilotes russes à répondre en anglais.

Cet accord n’autorise cependant pas les appareils russes à survoler la Turquie, bien que celle-ci ait ouvert son espace aérien à la coalition pour les frappes contre Daech depuis juillet. Au moins un appareil russe a déjà été forcé de rebrousser chemin le 3 octobre et un drone russe a été abattu le 16. L’incident du 24 novembre a poussé Ankara à faire jouer l’article 5 du Traité de l’Atlantique nord sur l’assistance en cas d’agression d’un État membre. Or il convient de rappeler qu’à la suite d’incidents de frontière avec les troupes loyalistes de Damas, l’espace aérien turc est également protégé depuis janvier 2013 par des batteries de missiles anti-aériens Patriot PAC-2 et PAC-3 déployés par l’Otan. Cinq sont actuellement en activité : une espagnole à Adana, deux allemandes à Kahramonmaras et deux américaines à Gaziantep. Initialement prévue pour la défense contre d’éventuels tirs de missiles balistiques syriens, si aucun contre-ordre n’est donné, elles devraient être retirées en décembre.

Tour de contrôle au Qatar

Les missions conduites par la coalition menée par le États-Unis bénéficient en revanche d’accords de survol avec tous les pays limitrophes de la Syrie, mais bien évidemment pas avec le régime de Damas lui-même. Celui-ci, toutefois, n’a rien entrepris contre des forces aériennes qui s’attaquent à l’un de ses principaux adversaires. Néanmoins, les navires de la coalition, dont la flottille du « Charles-de-Gaulle », croisent au large des eaux territoriales syriennes.

le CAOC de la coalition au Qatar. Crédit : Sgt. J. Strang, US Air Force.
Le CAOC de la coalition au Qatar. Crédit : Sgt. J. Strang, US Air Force.

Le contrôle aérien et la coordination des missions sont assurés par le CAOC (Combined Air Operations Center) de l’US Air Force Central Command, implanté sur la base aérienne d’Al Udeid, au Qatar, d’où les États-Unis avaient déjà coordonné leur invasion de l’Irak en 2003.

Le Qatar se trouvant à plus de 1 000 km des zones frappées par la coalition, plusieurs Boeing E-3D Sentry AWACS ont été déployés sur la région, dont un de la Royal Air Force, ainsi qu’un E-7A Wedgetail de la Royal Australian Air Force pour le contrôle combiné des opérations  aériennes et terrestres ainsi que la déconfliction avec les aviations syriennes et iraniennes également présentes dans la zone. La France, pour sa part, a dépêché deux E-2C Hawkeye basés sur le « Charles-de-Gaulle », pour ses propres activités de commandement de l’espace aérien et de détection de menaces. Ils travaillent en coordination avec le reste de la coalition.

L’aviation fantôme de l’État islamique

Le contrôle de son espace aérien est une prérogative régalienne dont aimerait se prévaloir tout groupe tel que l’État islamique autoproclamé. En août 2014, à l’occasion de la prise de la base de Tabqa, les djihadistes auraient mis la main sur au moins deux MiG-21 et peut-être un MiG-23. En dépit des doutes sur leur état de vol, l’armée de l’air syrienne affirme en octobre suivant avoir détruit deux MiG-21 de Daech à l’atterrissage sur la base d’Al Jarrah, près d’Alep. Depuis un an, plus aucune mention n’a été faite d’une éventuelle aviation djihadiste, mais la Russie, craignant l’utilisation d’avions civils chargés d’explosifs pour des missions suicides contre la base de Hmeymim où sont basés ses avions, y a installé des batteries de missiles antiaériens Pantsir S1 (20 km de portée) et Bouk M2 (45 km de portée).

Frappes risquées sur le trafic de pétrole

Si la France ne mène pas d’opérations d’attaque au sol à basse altitude, ce n’est pas le cas des autres intervenants, qui se placent plus couramment à portée des armes antiaériennes des djihadistes, notamment avec la récente décision de s’en prendre directement aux convois par lesquels Daech exporte son pétrole pour soutenir son économie et jusque là écartés en tant que cibles « civiles ».

Le 15 novembre, des A-10 Thunderbolt 2 et des AC-130 Spectre américains ont détruit 116 camions citernes utilisés par Daech pour ses exportations de pétrole. Le raid avait été précédé 45 minutes plus tôt par l’envoi de tracts annonçant la frappe pour laisser le temps aux civils de se mettre à couvert. Le 19 novembre, des frappes russes menées par des Su-34 auraient détruit 500 camions similaires en route vers la Turquie.

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