Le chant du cygne du Zenit

Transfert du dernier Zenit à Baïkonour. Crédit : DR.
Pour la première fois depuis dix-huit mois, un lanceur Zenit a placé un satellite sur orbite. En fait de retour en vol, il pourrait s’agir de la dernière mission du lanceur ukrainien.

Après trente ans d’activités, le lanceur Zenit pourrait bien avoir fait sa dernière – discrète – apparition, le 11 décembre, en plaçant directement sur orbite géostationnaire le satellite météorologique russe Elektro L n°2. Ce qui va se passer ensuite reste nébuleux.

Deux exemplaires du lanceur sont encore disponibles à Baïkonour. Commandés en 2010 à l’industriel ukrainien MZ Youjmach de Dniepropetrovsk, ils ont été livrés en 2013. L’un, complet, était destiné au satellite d’astronomie gamma Spektrum RG. L’autre, dépourvu de moteurs, au premier satellite de télécommunications ukrainien, Lybid 1. Selon certaines sources russes, le lanceur de Spektrum RG aurait dépassé sa date de péremption en novembre et ne pourrait être mis en œuvre sans une remise en état par les équipes ukrainiennes de KB Youjnoyé et MZ Youjmach. Toutefois, fin 2014, un contrat de 17 M de roubles (220 000 €) a été passé pour maintenir en état de vol les lanceurs Zenit d’Elektro L n°2 et Spektrum RG. Selon d’autres sources russes, ce dernier serait donc encore utilisable jusqu’à l’été 2016.

Cependant, en raison de la crise ukrainienne, la Russie a décidé en janvier 2015 de transférer sur Proton les derniers satellites qui lui restaient à lancer sur Zenit. Il s’agissait principalement d’Elektro L n°3, à la fin de 2016 ou au début de 2017, et de Spektrum RG, qui a glissé pour sa part jusqu’en 2017. Les autorités ukrainiennes, qui ont exclus le secteur spatial de leur embargo commercial avec la Russie, n’ont pas réussi à obtenir les fonds nécessaires pour acheter les moteurs du lanceur de Lybid au motoriste russe NPO Energomach et souhaiteraient pouvoir transférer leur satellite sur le lanceur complet, mais les responsables russes ne l’entendent pas de cette oreille. « Nous sommes prêts à lancer le satellite ukrainien », assure Rano Djouraïeva, patronne du Tsenki, qui exploite les centres spatiaux, « mais nous n’avons pas reçu de demande pour les moteurs. »

Commandé en décembre 2009 à l’industriel canadien MDA pour 254 M$, Lybid 1 est basé sur sur une plateforme Ekspress fournie par l’industriel russe ISS Rechetnev. Il comporte une charge utile en bande Ku réalisée par MDA. Son lancement était initialement prévu en 2011 et a été régulièrement reporté depuis, faute de financement. Le satellite est actuellement en stockage chez Rechetnev et, dans les conditions politiques actuelles, il serait peu probable que la Russie facilite les choses pour son lancement.

Le transfert des lanceurs restants à International Space Services, une des entités du consortium Land Launch, a été évoqué. Contrôlé par RKK Energia, Land Launch a commercialisé des lancements géostationnaires sur Zenit 3SLB au départ de Baïkonour de 2007 à 2013. À ce jour, la firme ne dispose d’aucun lancement dans son carnet de commandes.

Introduit en 1985, le lanceur Zenit a été lancé à 83 reprises, dont 36 fois à partir de la plateforme Odyssey du consortium Sea Launch. Passé sous le contrôle de RKK Energiya en 2010 après être passé sous Chapitre 11 en 2009, Sea Launch a suspendu ses activités après un dernier lancement en mai 2014, faute de client.

L’asphyxie de Youjmach

L’arrêt de la production du Zenit est une des raisons de la baisse d’activité importante de MZ Youjmach, qui a connu un effondrement de 80 % de son chiffre d’affaires et a dû faire passer son personnel de trois à un seul jour travaillé par semaine au quatrième trimestre 2015. La relance de la chaîne des lanceurs Tsyklon, avec le modèle Cyclone 4 pour le Brésil, a aussi connu un coup d’arrêt avec la dénonciation en juillet de l’accord conclu par Brasilia et la conversion des missiles R-36 en lanceurs Dnepr doit s’achever prochainement, avec l’arrêt du système en 2017.
Les activités de MZ Youjmach sont compliquées par la tension avec la Russie. Ainsi, en octobre, le SBU (Services secrets ukrainiens) a refusé de donner à ses équipes l’autorisation de se rendre à Baïkonour. Une partie de la campagne de lancement d’Elektro L n°2 a ainsi dû être assurée par des équipes russes de Sea Launch.
MZ Youjmach s’étant diversifié dans les autobus et les tramways, les dernières productions spatiales qui se maintiennent à Dnepropetrovsk concernent le premier étage des lanceurs Antares d’Orbital ATK aux États-Unis et les moteurs RD-843 pour le dernier étage du Vega en Europe. Les responsables ukrainiens comptent néanmoins énormément sur un rapprochement avec Boeing, dans le cadre d’un accord de partenariat signé en septembre.


Fiche de mission

Zenit 3F/Fregat SB

Décollage le 11 décembre à 13 h 45 m 32 s TU du complexe 45/1 de Baïkonour (Kazakhstan).

Charge utile : Elektro L n°2 (1 620 kg).

Orbite initiale : géostationnaire.

Possible dernier vol du Zenit.


Un lanceur ukraino-russe

Le lanceur utilisé pour la mission du 11 décembre était un Zenit 3F, c’est à dire un biétage Zenit 2SB80 fourni par MZ Youjmach, mais équipé de moteurs russes de NPO Energomach.

Elektro L n°2 : un Meteosat russe

Basé sur une plateforme Navigator de NPO Lavotchkine, Elektro L n°2 emporte une charge utile réalisée par Russian Space Systems (AO RKS) et composée principalement d’un imageur multispectral à balayage MSU-GS, capable d’observer le disque terrestre dans trois bandes du spectre visible et sept de l’infrarouge. Le rafraîchissement des images a lieu toutes les 30 minutes, mais peut être accéléré à 10 ou 15 minutes en cas d’urgence, comme le suivi des catastrophes naturelles. Une charge scientifique GGAK-E aura pour mission de surveiller l’effet des rayonnements solaires sur la magnétosphère terrestre.
Elektro L n°2 doit être positionné à 77,8° Est, au sud de l’Inde, pour couvrir l’océan Indien et les continents limitrophes et assurer la contribution russe au réseau météorologique mondial du World Weather Watch.

 

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