La production des tuyères des P120C d’Ariane 6 s’automatise

Une vue d’Ariane 6 à date de juin 2017. Crédit : ArianeGroup.
Avec un calendrier serré et une obligation contractuelle contraignante, ArianeGroup a dû revoir totalement sa façon de fabriquer, ce qui s’illustre notamment sur la production des tuyères pour la propulsion solide.

Le défi était de taille : pour qu’Ariane 6 soit rentable, il fallait que le dernier-né de l’industrie européenne coûte 40 à 50 % moins cher à produire que son prédécesseur. Airbus Safran Launchers, qui deviendra ArianeGroup dès le 1er juillet prochain, l’a relevé, notamment pour les tuyères des accélérateurs à propulsion solide, pièces essentielles dont la conception et la fabrication a été complètement revue. Sur le site du Haillan, près de Bordeaux, les ingénieurs de la nouvelle structure travaillant pour Europropulsion, maître d’œuvre du moteur P120C et filiale conjointe avec Avio, ont dû repenser l’ensemble de la fabrication, du matériau à la livraison.

La tuyère du nouveau moteur P120C, qui sera finalement chargé de 142 t de propergol (et non plus 120 comme initialement prévu), doit être livrée à Kourou pour son premier test début 2018. Son divergent est actuellement en cours de fabrication au Haillan, dans la même usine qui fabrique déjà les tuyères des accélérateurs d’Ariane 5, mais avec des procédés extrêmement nouveaux. Une cadence de 35 moteurs par an est visée.

L’architecture d’un P120C. Crédit : Avio.

Les « tisseurs de l’espace » ont ainsi mis au point une structure tissée en carbone pour fabriquer le col de tuyère, où se concentrent les flux thermiques les plus importants. La spécificité du processus est d’ajouter des fibres courtes à une trame initiale à l’aide d’aiguilles spéciales, ressemblant à de petits harpons. La forme torique est ensuite cuite à très haute température pendant plusieurs semaines, ce qui permet d’obtenir une pièce carbone-carbone extrêmement solide et légère. Ce matériau a d’ailleurs la caractéristique de devenir plus solide sous les hautes températures, qui ajoutent des molécules de carbone : un atout particulièrement intéressant pour des tuyères soumises à des températures et des contraintes extrêmes, jusqu’à 3 000°C pour le col de tuyère.

Le processus est désormais automatisé grâce à une machine qui s’occupe de façon autonome du tissage. La production de cette pièce passe de quatre semaines pour Ariane 5 à quatre jours pour Ariane 6.

Les pièces tissées avant cuisson. Crédit : ArianeGroup.

La cuisson dans des fours spéciaux permet d’ajouter des particules de carbone jusqu’au cœur de la structure : une fois plongées sur plusieurs couches dans ces fours, on injecte du gaz naturel enrichi en méthane.

Le civil et le militaire garantissent l’activité

Cette expertise n’est pas réservée au spatial. Le site, qui a développé dans les années 80 des freins carbone pour la Formule 1, produit 80 % du marché des freins carbones pour Airbus et Boeing, via Safran. Ce marché civil est la garantie de la pérennité de cette activité.

Les quatre premiers cols de tuyère pour Ariane 6 ont été finis le 18 mai, et s’apprêtaient, lors de la visite organisée le 22, à aller au four pour près de 1 000 h de cuisson.

Ces principes d’automatisation et de simplification ont été appliqués à toutes les pièces de la tuyère. L’architecture de la tuyère a permis de réduire le nombre de pièces principales de six à trois entre Ariane 5 et Ariane 6. Le divergent lui-même n’est plus formé que d’une seul pièce au lieu de deux. Le P120C sera aussi le plus grand moteur monolithique à propergol solide. « Nous avons appliqué le design to cost », explique Yves Traissac, à la tête des activités de propulsion solide. La conception des pièces avait comme obligation de permettre la réduction des coûts. Cela a obligé les équipes à « secouer les idées ». En rencontrant les équipes responsables de la production et de la conception, on est frappé de la jeunesse des ingénieurs, qui ont su apporter des idées et des méthodes très nouvelles à l’industrie spatiale.

En ce qui concerne le divergent, il est composé d’un tissu de carbone imprégné de résine phénolique. L’objectif est de permettre une production automatisée d’ici deux ans, avec un dispositif de déformation des bandes automatisée et l’adaptation de la vitesse de bobinage. Pour l’instant, les équipes testent la machine et mettent en place le processus, avec un objectif clair : doubler la productivité en réduisant de moitié les coûts.

Pour le premier divergent, en train d’être fabriqué le 22 mai, l’objectif est à terme de le fabriquer en trois jours pendant lesquels est posé 1,2 t de matière. Une partie de cette matière est en carbone, une autre en silice. La résine phénolique a également la propriété, lorsqu’elle est brûlée par le feu, de dégager du carbone qui vient protéger le divergent lors du tir. « C’est la première fois que nous changeons de matériau en quarante ans », explique Claude Eyraud, responsable de l’unité de production de composites organiques.

Autre innovation dans la production, le divergent est beaucoup moins manipulé, ce qui simplifie les étapes et les inspections de qualité. Une fois fini, il est habillé pour être protégé, puis installé sur un mandrin. Sa face extérieure est usinée, avec un contrôle qualité classique et un contrôle non-destructif (CND). L’état est figé entre deux étapes dans une chambre à vide. Il est ensuite posé sur un sapin d’usinage qui permet d’usiner la pièce pour les phases de contrôle. La pièce ne bouge pas de son support pendant toutes ces opérations.

Ces processus inspirés de l’automobile permettent de supprimer un grand nombre d’étapes de manutention.

Le divergent est bobiné en entier sur une machine. Crédit : ArianeGroup.

Les pièces de tuyère partent ensuite au montage. L’atelier va être transformé, avec une réduction de l’espace consacré à cette étape. Cette évolution contre-intuitive permet en réalité de limiter les déplacements et de rendre toutes les étapes beaucoup plus efficaces. Le montage de la tuyère des accélérateurs P230 d’Ariane 5 nécessitait près de 1 200 h sur cent jours ouvrés pour assembler dix-sept éléments. Demain, les tuyères des P120C d’Ariane 6, composées de dix éléments ne demanderont que 500 h de travail sur 38 jours ouvrés et donc une réduction de cycle de près des deux tiers. L’obligation de réduire de manière drastique les coûts a poussé les ingénieurs à repenser les éléments véritablement indispensables au moteur.

Une réévaluation du besoin

« La contrainte de coût pousse à la simplification, la nouvelle définition a poussé à réévaluer les besoins en installant une nouvelle relation entre le client et le fournisseur », expliquent les ingénieurs responsables de l’atelier. La superficie de l’atelier va ainsi être divisée par dix avec une cadence qui doit tripler. Après la rationalisation des pièces vient ainsi celle des étapes de montage, divisées en îlots. Un robot géant Fanuc de 2,3 t de capacité va également être installé dans ces nouveaux locaux pour permettre d’optimiser la manutention. L’utilisation de Solgel au lieu de peinture va aussi permettre de réduire la préparation de surface de trois opérations à une seule. Des moyens de production d’Ariane 5 seront également réutilisés, notamment l’atelier dédié à la presse pour la butée flexible, ce sandwich de polymère et de métal ou composite qui sert d’articulation pour le pilotage du moteur. Mais de manière générale, les sites vont être spécialisés afin d’optimiser là encore la baisse des coûts.

Ces changements très importants doivent également se faire à effectif constant, traduisant à encore la volonté de réduire les coûts grâce à l’augmentation de la cadence. La montée en puissance d’Ariane 6 d’ici 2023 va également s’accompagner pendant quatre ans de la baisse de la production d’Ariane 5. Mais les équipes sont prêtes pour ces nouveaux concepts, qui ont obligé à repenser entièrement les modes de conception et la place de l’opérateur au cœur de la fabrication. Prochaine étape : les essais dès 2018 des pièces en Guyane, avant le début des études, pour l’instant très préparatoires, d’Ariane Next pour l’après Ariane 6.

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