COP21 : des mesures pour le climat

Les chefs d’État et de gouvernement de cent-cinquante pays se réunissent à Paris pour décider d’une politique climatique commune. Pour évaluer les effets de celle-ci, ils devront disposer des bons outils de mesure, dont des satellites, seuls capables d’observer les tendances sur le très long terme.

Cinquante variables climatiques essentielles (ECV) ont été définies en 2010 sous l’égide du GCOS (Global Climate Observing System), une organisation fondée en 1992 par l’Organisation météorologique mondiale et l’Unesco afin d’aider à la coordination des systèmes d’observation. Les ECV constituent la base de ce qu’il est aujourd’hui techniquement et économiquement possible de surveiller de manière systématique pour soutenir les travaux de l’UNFCCC (United Nations Framework Convention on Climate Change) et du GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat). Certaines de ces variables concernent les caractéristiques dynamiques et énergétiques de l’atmosphère à haute et basse altitude, ainsi que sa composition chimique. D’autres s’intéressent aux caractéristiques physiques, chimiques et biologiques de la surface des océans et des eaux profondes. D’autres, enfin, se rapportent aux terres émergées, à l’hydrologie, aux glaces, à la biomasse et à la photosynthèse.

Le GCOS a défini un plan de travail pour assurer la collecte systématique de ces mesures et mis en évidence le rôle essentiel que peuvent jouer les satellites, notamment par leur capacité à observer de manière cohérente et en continu l’ensemble du globe, y compris les régions les plus reculées, en limitant les dérives instrumentales. Selon le GCOS, les satellites peuvent jouer un rôle essentiel pour surveiller 26 des 50 ECV, auxquelles il faut rajouter la température à la surface des terres émergées qui permet de déterminer ou d’interpréter d’autres ECV terrestres.

Un impératif de la continuité

Les 31 principales agences spatiales, réunies depuis 1984 au sein du CEOS (Committee on Earth Observation Satellites), se sont mobilisées pour assurer la continuité, l’homogénéité et le chevauchement des missions, ainsi que l’étalonnage et la caractérisation des capteurs, la validation des produits issus des mesures brutes et leur archivage. Car c’est là un des défis essentiels de la recherche climatique : obtenir des mesures cohérentes, de manière continue sur de longues durées, afin d’en nourrir les modèles d’évolution du climat. Lorsqu’un capteur sur orbite est relevé par un nouvel instrument, celui-ci doit être étalonné sur son prédécesseur. Toute interruption dans le flot de données se traduit par une perte de précision dans les mesures, ce qui, sur un système aussi chaotique, peut avoir d’importantes conséquences sur l’évolution des modèles.

Malheureusement, beaucoup des mesures requises pour la détermination des ECV ne remontent pas à plus de quelques années ou ne sont disponibles qu’au travers des données de satellites scientifiques à la couverture incomplète. Certaines données critiques souffrent aussi de la grande fragilité de leur source, généralement non redondée, comme c’est le cas pour l’altimétrie océanique.

Une infrastructure européenne

Épaisseur de la banquise arctique vue par Cryosat. Crédit : ESA.
Épaisseur de la banquise arctique vue par Cryosat. Crédit : ESA.

En Europe, la continuité des mesures a fait l’objet au niveau communautaire du programme GMES (Global Monitoring for Environment & Security) lancé en 1998 et rebaptisé Copernicus en 2013. Quatre familles de satellites et deux familles de capteurs – baptisées « Sentinel » – ont été définies, avec des plans d’acquisition à long terme et une redondance établie afin d’assurer la pérennité de certaines données d’observation de la Terre et de l’environnement, non seulement pour répondre aux besoins identifiés par le GCOS, mais aussi pour assurer le développement de produits commerciaux et d’une chaîne de création de valeur issue de ces applications. Les deux premiers satellites, Sentinel 1A et 2A ont été lancés en avril 2014 et juin 2015. Initialement ils étaient censés prendre la relève d’instruments à bord du satellite géant Envisat de l’ESA, mais celui-ci est inopinément tombé en panne en avril 2012. Après avoir été financé de 2007 à 2013 via le programme cadre de l’Union européenne pour la recherche et le développement, Copernicus bénéficie aujourd’hui d’une enveloppe de 4,3 Md€ sur la période 2014-2020 dans le cadre d’un programme d’infrastructure qui englobe aussi la constellation Galileo pour la navigation et le réacteur à fusion expérimental Iter.

Aux États-Unis, où les enveloppes budgétaires sont renégociées chaque année, le programme d’observation de la Terre a connu des hauts et des bas au gré des changements d’administrations. Le programme EOS (Earth Observing System) lancé sous la présidence Clinton a donné naissance à une série de satellites initialement prévus pour être récurrents (Terre, Aqua et Aura), mais les financements se sont taris sous celle de George W. Bush, avant de reprendre sous celle de Barack Obama. Issues d’une demande formulée par la National Academy of Sciences en 2007, les Earth Systematic Missions ont inaugurées avec le lancement en janvier dernier de Smap (Soil Moisture Active-Passive) pour l’étude de l’humidité des sols, qui figure parmi les ECV.

Toujours plus de Sentinelles

A ce jour, de nombreuses ECV ne bénéficient pas encore d’un suivi opérationnel sur la durée et ne font l’objet que de missions exploratoires, de type « Earth Explorer » pour l’ESA ou ESSP (Earth Space Science Pathfinder) pour la Nasa. Pour Volker Liebig, directeur de l’observation de la Terre à l’ESA, certaines pourraient préfigurer de nouvelles familles de missions Sentinel dont l’adoption dépendra du budget approuvé par Bruxelles pour la période 2021-2027.

Suivre le carbone

Un autre candidat majeur pour intégrer la famille des Sentinel pourrait être la mission CarbonSat, conçue pour identifier et quantifier les zones d’émission et d’absorption du dioxyde de carbone (CO2) et du méthane (CH4), avec un pas d’échantillonnage de 6 km2 sur une fauchée de 200 km, ce qui le différencierait des missions antérieures telles que OCO-2 (Orbiting Carbon Observatory) de la Nasa, qui ne procèdent qu’à des sondages au nadir, le long de leur trace au sol. « Cela signifie que nous pourrions enfin commencer à faire la distinction entre les sources de dioxyde de carbone d’origine humaine ou naturelle, » estime Volker Liebig. « Par exemple, nous pourrions surveiller depuis l’espace les plus grandes centrales électriques de la planète. »

La politique mise à l’épreuve

Récemment débouté de sa candidature pour le programme Earth Explorer, CarbonSat pourrait être proposé pour un financement séparé à la prochaine conférence ministérielle de l’ESA, en 2016, ainsi qu’à Bruxelles. Le satellite, qui pourrait être lancé en 2023, serait présenté comme le démonstrateur d’une constellation dont l’objectif serait d’obtenir pour la première fois de vrais mesures afin d’évaluer les émissions de carbone des sites industriels et des pays, ainsi que la réelle capacité d’absorption des « puits de carbone. » Car aujourd’hui, ces volumes et ces capacités, qui servent de base au système mondial d’échange du « droit à polluer » instauré en 2005 par le protocole de Kyoto, ne sont pris en compte que sur une base déclarative, faute de moyen de mesure adapté, ou alors par extrapolation de mesures in situ, nécessairement localisées. De la même manière qu’avec les capteurs Végétation, sur les satellites Spot puis Proba V, l’Union européenne dispose depuis 1998 d’une vision globale des ressources végétales qui lui permet de gérer en connaissance de cause les prix agricoles sur les marchés d’échange, une surveillance détaillée des gaz à effets de serre lui permettrait de quantifier sa contribution au marché carbone, d’identifier les pollueurs et surtout de mesurer en temps réel les effets des politiques de réduction des émissions.

L'altimétrie océanique sur le fil du rasoir

Depuis 1992, les altimètres français Poseidon, montés à bord des satellites Topex puis Jason 1 et 2, sont devenus la référence mondiale pour la mesure du niveau de la mer. Lancé en juin 2008, le satellite Jason 2 a dépassé de deux ans sa durée de vie contractuelle. Il doit être relevé par Jason 3, dont le lancement (fourni par la Nasa) est annoncé pour janvier sur le dernier modèle du Falcon 9 v1.1 de SpaceX, dont le précédent vol s’est soldé par un échec le 28 juin.

En cas de nouvel échec, le successeur de Jason 3, commandé en mai dernier et intégré au programme Copernicus sous le nom de Sentinel 6A, n’arrivera qu’en 2020. Entretemps, un autre altimètre, travaillant avec une résolution temporelle différente, doit être lancé à bord de Sentinel 3A fin décembre et de Sentinel 3B dix-huit mois plus tard. Des altimètres expérimentaux existent aussi comme AltiKa sur le satellite franco-indien Saral. Des solutions existent donc pour assurer une continuité des mesures, mais la disparité des instruments pourrait entraîner une dégradation de leur cohérence.

Le cycle du carbone par la photosynthèse

Le 20 novembre, sur avis de son conseil consultatif des sciences de la Terre, l’ESA a sélectionné Flex (Fluorescence Explorer) plutôt que CarbonSat en tant que huitième mission Earth Explorer, destinée à expérimenter de nouveaux capteurs pour l’étude de la Terre et de son environnement. Ainsi, la mission Flex étudiera-t-elle la fluorescence des plantes pour cartographier la photosynthèse. Ses mesures permettront néanmoins de mieux comprendre certains mécanismes qui régissent le cycle du carbone – ainsi que celui de l’eau – tout en surveillant la santé du couvert végétal. Équipé d’un spectromètre imageur, Flex sera lancé en 2022 et travaillera de concert avec un des satellites Sentinel 3 pour corréler ses observations avec celles des capteurs optiques et thermiques de celui-ci.

Un appel à proposition a été émis dès le 23 novembre à la communauté scientifique des 22 États membres de l’ESA, ainsi que du Canada, pour une neuvième mission Earth Explorer. Les dossiers doivent être déposés avant le 24 juin 2016.

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