L’Allemagne cherche une solution pour la bombe américaine

Le Tornado allemand lors d'un exercice sur la base de Nellis dans le Nevada, en mai 2018. crédit : Bundeswehr - J. Heyn
Avec la sortie de service du Tornado, seul avion allemand capable de transporter la bombe nucléaire américaine, Berlin se retrouve face à un dilemme quant à son remplacement.

L’Allemagne a l’interdiction d’être une puissance nucléaire. Conséquence de la dernière guerre mondiale et volonté pacifiste populaire se rejoignent depuis longtemps sur le sujet. Pourtant, des avions allemands ont la capacité de transporter des bombes nucléaires américaines, conservées sur le sol allemand. Une dotation de vingt têtes nucléaires est ainsi maintenue disponible depuis soixante ans en Rhénanie-Palatinat (sud-ouest), sur la base de Büchel. Lors des négociations de coalition gouvernementale en 2010, le parti social-démocrate SPD (gauche) avait tenté d’imposer leur départ, mais s’était finalement rangé à l’avis de ses partenaires du gouvernement.

Les Allemands sont donc engagés dans le cadre de l’Otan à pouvoir transporter et larguer les bombes B61-3 et B61-4, une mission qui deviendra impossible avec la fin des Tornado. En service depuis 1982, l’avion devrait pourtant voler jusqu’en 2035, et même 2040, selon les prolongations actées par le ministère de la Défense allemand en 2016. Mais, selon des sources allemandes, les systèmes de l’appareil sont trop obsolètes pour permettre à l’Allemagne de remplir son rôle au sein de l’alliance atlantique. La question du remplacement des Tornado se fait donc d’autant plus pressante, avec une contrainte de taille : quel que soit l’avion choisi, les Américains devront avoir accès à l’intégralité des données du programme, afin de garantir la compatibilité de leurs têtes nucléaires et de l’appareil.

Ministère et État-major s’affrontent

Dans ce contexte, plusieurs solutions s’offrent à l’Allemagne. La première consiste à acheter sur étagères des F-35 à Lockheed Martin. Cette solution a la préférence de l’État-major allemand, qui s’est exprimé dans ce sens à plusieurs reprises.

« D’un point de vue militaire, nous avons besoin d’une signature radar plus faible et de la capacité à reconnaître à très longue distance des objectifs pour les combattre », a expliqué à Reuters Karl Müllner, inspecteur général de la Luftwaffe jusqu’à la fin mai. Selon les descriptions précises de l’armée, seul le F-35 a les capacités exigées.

Le ministère de la Défense allemand n’est pas d’accord avec cette interprétation. Il souhaite surtout sauver le projet d’avion européen FCAS lancé au printemps avec les Français et Airbus en fer de lance. L’achat de F-35 rendrait très difficile le développement en parallèle d’un autre avion. D’un autre côté, comment admettre que les Américains aient entièrement accès à l’appareil, qui serait un concurrent direct du F-35 ?

L’Eurofighter Typhoon lors du même exercice Green Flag dans le Nevada le 8 mai 2018. Crédit : Bundeswehr – J. Heyn.

Pour résoudre cette quadrature du cercle, une proposition originale fait son chemin. Le ministère allemand préconise la mise à niveau de l’Eurofighter Typhoon pour lui permettre de transporter la bombe. L’avion a déjà subi une amélioration l’an dernier, lui offrant désormais la possibilité de bombarder des objectifs au sol. Vingt-sept Typhoon allemands ont désormais la capacité de transporter des bombes BU-48 (guidage laser) de Raytheon, qui ont été achetées à 400 exemplaires.

Le F-35 séduit les européens

D’autres pays européens n’ont pas eu de scrupules à acheter américain.
Les Britanniques ont acquis 138 F-35 B (décollage et atterrissage vertical).
Les Pays-Bas en ont acheté 37, et poussent leur voisin belge de faire de même (cf. encadré ci-dessous). Le Danemark a également choisi de s’équiper en F-35, dont il attend 27 exemplaires. L’Italie est quant à elle un partenaire de Lockheed Martin et assemble des F-35 dans son usine de Cameri. Elle opèrera à terme 60 F-35A et 30 modèle B.
La Norvège, qui n’est pas membre de l’Union européenne, a elle aussi décidé de s’équiper chez Lockheed Martin, pour 52 appareils.

L’adaptation à la bombe nucléaire a comme défaut de réclamer un long travail de développement. Elle pose aussi la question des capacités intrinsèques de l’armée de l’air allemande. Le taux de disponibilité très faible des avions fait souvent les gros titres de la presse dans un pays toujours réticents aux dépenses militaires.

L’armée pousse donc de toutes ses forces vers l’achat de F-35 : déjà disponible même s’il n’est pas encore officiellement opérationnel, il remplit tous les critères et permet aux forces allemandes de répondre aux demandes de l’Otan.

Le moment semble néanmoins mal choisi : l’opinion publique allemande accepterait assez mal de dépenser des milliards pour des avions américains alors que les États-Unis de Donald Trump lui imposent des taxes destinées à la punir de ses excédents commerciaux.

Il reste une solution aux Allemands pour sortir de l’ornière. Ils pourraient finalement renoncer à transporter la bombe américaine. Cette décision renforcerait les liens avec la France, qui deviendrait un allié sur les questions de dissuasion, et trouverait un écho favorable auprès des Allemands. Les difficultés actuelles du gouvernement d’Angela Merkel et le risque de sa chute à brève échéance pourrait provoquer un nouveau débat sur le sujet et permettre enfin de trancher le cordon ombilical avec un allié américain à géométrie variable.

Un problème similaire en Belgique

Une autre conséquence d’une adaptation du Typhoon aux bombes atomiques américaines serait de renforcer sa position dans l’appel d’offres pour le remplacement des F-16 belges. Bruxelles fait en effet de cette capacité nucléaire pour l’Otan l’un des critères de sa sélection, désormais reportée après l’été. Le Typhoon est en concurrence avec le F-35 et, hors du processus traditionnel, avec le Rafale de Dassault Aviation.

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