50 ans sur la Lune : Des capsules à tout faire

Le module de commande d'Apollo 17 autour de la Lune. Crédit : Nasa.
EN ACCÈS LIBRE – La capsule Apollo n’a servi qu’à quinze missions habitées en huit ans mais elle est devenue un archétype, au point de donner sa forme à deux des trois capsules aujourd’hui en développement aux États-Unis, dont une devrait même récupérer son moteur principal.

Lorsque le programme Apollo est lancé, en 1960, il n’est pas encore question de lui donner la Lune comme seul objectif, mais bien de doter les États-Unis d’une capsule polyvalente pour accomplir une grande variété de missions.

Le programme Mercury, qui démarre dès la création de la Nasa en 1958, reprend une initiative de l’US Air Force à la dénomination prémonitoire de « Man In Space Soonest » (ce qui donne l’acronyme Miss, c’est à dire « raté »). Comme son nom l’indique, il ne s’agit alors que de « mettre un homme dans l’espace au plus vite », avec une capsule minimaliste lancée par des missiles balistiques.

Pour atteindre des objectifs plus ambitieux, la Nasa envisage très rapidement une capsule triplace.

Une sélection étagée

Le concept Apollo est présenté à l’industrie et aux partenaires de la Nasa le 28 juillet 1960. Un appel d’offres est lancé en septembre pour des études de faisabilité : Apollo doit être compatible avec les lanceurs Saturn, capable aussi bien de rejoindre une station orbitale que de s’aventurer autour de la Lune, et avoir une autonomie de 14 jours. Sur 88 industriels invités, 63 prennent le formulaire mais seuls 19 répondent, réunis en 14 équipes. Trois sont finalement retenus le 25 octobre : Convair, GE et Martin. Incidemment tous trois font aujourd’hui partie de la généalogie de Lockheed Martin.

Apollo 50
Une capsule Apollo dessert une station spatiale sur orbite terrestre dans un concept daté de 1964. Crédit : Nasa.

McDonnell, maître d’œuvre des capsules Mercury, n’est pas retenu. Néanmoins, l’année suivante, l’avionneur va recevoir le contrat pour développer les capsules biplaces Gemini qui vont servir à acquérir les technologies de rendez-vous orbital nécessaires à Apollo.

Les trois équipes rendent des copies très différentes à la mi-mai 1961. Convair a imaginé un véhicule modulaire évolutif sur une base de lifting body, GE propose un concept à trois module qui n’est pas sans rappeler le futur Soyouz des Soviétiques. Martin présente un dossier très exhaustif avec une architecture assez proche du concept final. Plusieurs formes différentes sont toutefois envisagées pour le module de commande.

La capsule Apollo, telle qu’on l’imagine encore en décembre 1961. Crédit : Nasa.

Entre-temps, Washington a connu une alternance politique et un calendrier très ambitieux est fixé pour la Lune une semaine à peine après le rendu des études. Dès juillet, sur la base d’une capsule conique définie à la Nasa par Max Faget – le concepteur de Mercury – l’industrie est à nouveau consultée. Quatorze industriels sont consultés et cinq équipes remettent une réponse le 9 octobre. Le dossier proposé par Martin est le mieux noté, devant North American ex-aequo avec General Dynamics (Convair). GE et McDonnell complètent le classement. Pourtant, le 28 novembre c’est North American qui remporte le contrat en raison de son expertise sur le programme d’avion fusée X-15.

Intégration d’un module de commande Apollo en juin 1965. Crédit : North American Aviation (Boeing).

Initialement, le module de commande d’Apollo doit se poser lui-même sur la Lune, mais en 1962, la sélection du scénario du rendez-vous sur orbite lunaire est préféré. Cela va entraîner le développement d’un autre vaisseau, le module lunaire d’Apollo, qui est confié à Grumman Aircraft en novembre 1962.

Entre drame et succès

Sur son site de Downey, dans la banlieue de Los Angeles, North American développe donc une capsule triplace de 3,91 m de diamètre pour 3,23 m de hauteur et dotée d’un bouclier thermique ablatif pour le retour dans l’atmosphère. D’une masse de 5 560 kg, elle comporte une cabine pressurisée qui atteint 10,4 m3, dont 6,2 m3 sont réellement habitables, ainsi qu’une réserve d’eau potable de 15 litres.

Un des premiers modules de service d’Apollo. Crédit : Nasa.

Elle est associée à un module de service cylindrique de 7,6 m de long pour 24 520 kg, dont 18 410 kg d’ergols (Aerozine 50 et peroxyde d’azote). Il doit alimenter le SPS (Service Propulsion System), qui sera notamment chargé des manœuvres d’injection et de libération, lors de l’arrivée sur orbite lunaire et du départ vers la Terre. Ce moteur peut fournir 91 kN de poussée, ce qui est plus du double de ce qui est nécessaire, car il était initialement prévu pour permettre un décollage de la surface de la Lune. L’alimentation électrique est fournie par trois piles à combustibles de 1,3 kW.

La première capsule Apollo vole le 20 janvier 1966 sur un propulseur Little Joe 2 lors du dernier essai du système d’éjection de sauvegarde. Le 26 février suivant, la première mission spatiale est un vol suborbital à 492 km d’altitude sur le tout premier Saturn 1B. La capsule est récupérée à 8 477 km de Cape Canaveral, dans l’Atlantique sud.

Le 27 janvier 1967, le décès de l’équipage d’Apollo 1 dans l’incendie de sa capsule au cours d’un entraînement au sol est un coup dur pour le programme et en particulier pour North American Aviation, dont la responsabilité est engagée. L’avionneur est déjà affecté par la destruction d’un des deux avions expérimentaux XB-70 Valkyrie le 8 juin 1966 lors d’une collision en vol. North American fusionne en mars 1967 avec Rockwell Standard pour devenir North American Rockwell.

Les astronautes d’Apollo 9 à l’entraînement. La capsule est recouverte d’une protection plastifiée. Crédit : Nasa.

À partir d’octobre 1968, les vols habités s’enchaînent avec des capsules Apollo Block 2. Les trois dernières missions lunaires, Apollo 18, 19 et 20, sont annulées en 1970. Trois capsules desservent la station Skylab en 1973 et 1974. Une capsule modifiée pour recevoir cinq astronautes est gardée en réserve pendant toute la mission au cas où il faudrait que deux astronautes aillent sauver l’équipage de la station. La dernière capsule Apollo vole en juillet 1975 pour l’opération Apollo-Soyouz avec le vaisseau russe Soyouz 19.

Capsules de nouvelle génération

Trois ans plus tôt, North American Rockwell a décroché la maîtrise d’œuvre d’un vaisseau bien plus impressionnant qu’Apollo : la navette spatiale. Avec le développement et l’exploitation de celle-ci, le concept de capsule est relégué au rang d’antiquité pendant trois décennies. Il n’est que progressivement remis au goût du jour avec les accidents de Challenger en 1986 et surtout Columbia en 2003.

La capsule européenne ARD. Crédit : J-L. Atteleyn – ESA.

Dans les années 1990, lorsque l’ESA réalise la capsule ARD (Atmospheric Reentry Demonstrator) afin de tester en vol les algorithmes de pilotage développés pour l’avion spatial Hermes, elle reprend la forme aérodynamique d’Apollo, car elle est parfaitement connue.

Apollo renaît aussi, dans une version « sous stéroïdes » (sic), lorsque, pour faire passer la pilule de l’annonce d’un arrêt du programme navette en pleine année électorale, le président George W. Bush remet la Lune en ligne de mire avec ce qui va devenir le programme Constellation. Le développement de la nouvelle capsule CEV (Crew Exploration Vehicle), ultérieurement baptisée Orion, est confiée à Lockheed Martin le 31 août 2006, qui prend ainsi sa revanche pour le compte de son ancêtre Martin qui n’avait pu obtenir Apollo 44 ans plus tôt. La capsule reprend la forme aérodynamique d’Apollo, avec un diamètre de 5 m et un volume pressurisé de 20 m3 pour accueillir quatre à six astronautes.

Impossible à financer, le programme Constellation est annulé par Barack Obama en octobre 2010, mais le développement d’Orion continue en tant que capsule polyvalente pour l’exploration (MPCV : Multi Purpose Crew Vehicle). Une première capsule inhabitée effectue un vol d’essai à 5 800 km d’altitude sur Delta 4H le 5 décembre 2014. Elle doit voler autour de la Lune dans le cadre du programme Artemis à partir de la fin 2020, puis desservir la station Lunar Gateway et permettre le retour d’astronautes à la surface de la Lune en 2024.

La capsule Orion de la mission Artemis 1 durant des essais acoustiques. Crédit : R. Sinyak – Nasa.

En 2010, la forme d’Apollo est aussi retenue par Boeing – compagnie héritière de North American – pour sa capsule commerciale CST-100 Starliner développée dans le cadre du CCP (Commercial Crew Program). D’un diamètre de 4,56 m, elle pourra emporter quatre astronautes dans une cabine pressurisée de 11 m3. Son premier vol, inhabité, est prévu en septembre ou octobre.

Un moteur qui a fait ses preuves

Un élément plus tangible d’Apollo sera présent sur les missions d’Orion, au niveau de la propulsion.

Le moteur choisi en avril 1962 pour le SPS d’Apollo est une variante de l’AJ10 d’Aerojet initialement développé pour le deuxième étage du lanceur Vanguard de l’US Navy en 1957/59. Avant d’être choisi pour Apollo il a aussi équipé les étages supérieurs des lanceurs Atlas Able et Thor Able. De 1964 à 1980, des versions de l’AJ10 propulsent l’étage supérieur Transtage des lanceurs Titan 3. De 1970 à 2018, l’AJ10 équipe aussi le second étage des lanceurs Delta et Delta 2.

Un moteur d’OMS récupéré sur une navette spatiale. Crédit : Nasa.

Surtout, une version de l’AJ10 à 27 kN de poussée est sélectionnée en 1972 pour servir de moteur orbital à la navette spatiale. Deux exemplaires montés dans des pods OMS (Orbital Maneuvering Systems) de part et d’autre de la dérive sont chargés d’effectuer d’assurer l’impulsion de satellisation en début de vol et de désorbitation en fin de mission.

Après le retrait des navettes en 2011, les moteurs ont été récupérés et rétrofités en version OMS-E. Ils seront montés sur les modules de service européens ESM, développés par Airbus Defence & Space pour l’ESA, qui les fournit à la Nasa en paiement de sa contribution à la Station spatiale internationale.

Le moteur OMS-E monté sur l’ESM. Crédit Airbus.

Retour à notre série : Apollo, un héritage industriel cinquantenaire.

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