Le transport aérien en première ligne de la crise

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Le 11 mars, Lufthansa a annoncé l'annulation de 23 000 vols du 29 mars au 24 avril. Crédit : Lufthansa.
EN ACCÈS LIBRE – La pandémie de Covid-19 affecte tous les secteurs de l’économie, mais celui du transport aérien est frappé de plein fouet par les restrictions liées aux mesures contre la propagation du coronavirus.

Une crise planétaire et des conséquences en cascade, encore incalculables. L’épidémie du nouveau coronavirus a déclenché des réactions en chaine qui frappent durement le transport aérien et par ricochet l’industrie aéronautique. Il est encore bien trop tôt pour établir un bilan tant la situation est évolutive, mais les annonces de fermetures de lignes, de réduction de capacités, les rééchelonnements ou les annulations de commandes ne laissent pas de doute sur la profondeur de la crise.

Soudaine, violente et qui prend une dimension nouvelles chaque jour, elle se traduit par des déflagrations successives qui touchent l’économie dans son ensemble, avec des répercussions d’autant plus importantes sur le secteur. « Cette crise est très, très importante », a déploré le directeur général de l’Association internationale du transport aérien (Iata), Alexandre de Juniac, à l’AFP. « Pour nous, c’est probablement la plus dure qu’on ait eu à subir depuis les vingt dernières années. Ce qu’on espère c’est qu’elle ne durera pas trop longtemps. Mais là encore on est vraiment en territoire inconnu. Elle est au moins comparable à la crise de 2008-2009. C’est plus violent, extrêmement brutal, extrêmement rapide et assez profond. »

Entre le 20 février et le 5 mars, les estimations par l’Iata du coût de la crise pour les compagnies aériennes sont passées de 29,3 Md$ pour un scénario où le coronavirus affecterait essentiellement la Chine, à 63 Md$ pour un scénario où seuls certains marchés seraient atteints et 113 Md$ pour une pandémie globale, qui est la situation reconnue le 11 mars par l’Organisation mondiale de la santé (OMS).

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Les aéroports parisiens restent ouverts malgré les restrictions. L’aérogare d’Orly 2 sera fermé à partir du 17 mars au soir. Crédit : ADP.

Le krach de 2008, l’épidémie de SRAS en 2003, les attentats du 11 septembre 2001, toutes ces crises sont évoquées pour établir une comparaison avec celle du Covid-19, mais aucune n’a son ampleur. Elles donnent chacune des clés de compréhension, mais la situation actuelle ressemble d’avantage à une addition de toutes, avec un facteur démultiplié : avant d’être une crise sectorielle, l’épidémie de Covid-19 est avant tout une crise sanitaire mondiale et échappe par là-même à la seule analyse économique.

La bourse panique

En quinze jours à peine, le monde est passé de la cessation « avec effet immédiat » des activités de la compagnie régionale Flybe à l’annonce quelques jours plus tard par Lufthansa de l’immobilisation de 150 avions, puis de l’annulation par la compagnie allemande de 23 000 vols d’ici au 24 avril, et enfin de la suspension de tout dividende au titre de l’exercice 2019. Une escalade ininterrompue depuis, signe que la crise s’approfondit à chaque jour.

La situation dans l’aérien a été aggravée par l’annonce inattendue du président Donald Trump de suspendre tous les vols d’Europe vers les États-Unis à compter du 13 mars, qui a provoqué l’effondrement des valeurs du secteur en Bourse, comme celles du reste de l’économie. Les compagnies aériennes américaines ont perdu entre 10 et 15 % de leur valeur à Wall Street, les européennes à peine moins sur les places de Paris, Londres ou Francfort. En un mois, certaines compagnies ont perdu 60 % de leur valeur.

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L’accès aux contrôles de l’aéroport de Washington-Dulles, habituellement surchargé, était vide au soir de l’annonce de Donald Trump. Crédit : S. Barensky – Aerospatium.

Côté industrie, les grands acteurs ont aussi été durement sanctionnés. En un mois et à la faveur de l’accélération de la diffusion du Covid-19, Airbus a perdu plus de 50 % de sa valeur, autant que Boeing sur la même période. Même sanction pour les équipementiers : Safran a perdu près de 50 %, Rolls-Royce et General Electric (GE) près de 40 %. Dans une note publiée le 16 mars, JPMorgan Chase a estimé que le secteur aérien pourrait être en train de vivre la pire crise de son histoire. La banque américaine table, dans le meilleur des cas, sur un ralentissement de 12 % du trafic aérien au cours des douze prochains mois, soit deux points de plus que le recul observé après les attentats du 11 septembre. Mais elle n’exclut pas un repli plus marqué, de 16 à 20 %.

Mêmes les grands groupes industriels, qui estimaient il y a quelques semaines encore que la crise autour du nouveau coronavirus serait passagère et ne les affecterait pas durablement, ont changé de discours. Fin février, Safran estimait que l’impact qui n’irait pas au-delà de la fin mars. Quelques jours plus tard, son patron Philippe Petitcolin reconnaissait que le motoriste devrait accélérer son programme d’économies face à l’aggravation de l’épidémie.

Annulation de l’essentiel du trafic

Baromètre du secteur, les compagnies aériennes affichent quasi-immédiatement les effets de la crise au gré des fermeture des frontières et face à une demande qui plonge. Aux États-Unis, Delta Airlines a réduit ses capacités de 40 %, et immobilisé quelque 300 avions. Elle va également procéder au rééchelonnement de la livraison de nouveaux appareils. American Airlines a réduit de 75 % ses liaisons internationales d’ici au 6 mai, et de 20 à 30 % ses capacités sur les lignes intérieures en avril et mai, et United Airlines de moitié en avril et mai.

En Europe, Air France-KLM a prévenu que son offre « pourrait baisser de 70 % à 90 % » et clouer au sol toute sa flotte d’A380 et de 747. Profitant du dispositif annoncé le 12 mars par le président Emmanuel Macron, environ 80 % des 40 000 employés d’Air France devraient être placés en chômage partiel. Souvent présentée comme la plus fragile des grandes compagnies européennes, le groupe franco-néerlandais pourrait avoir besoin du soutien de l’État, via une montée au capital. Dans un communiqué du 16 mars, il a indiqué avoir « accueilli positivement les déclarations exprimées par l’État français et l’État néerlandais qui ont indiqué chacun étudier toutes les conditions possibles d’un soutien au groupe ».

Crédit : Air France-KLM.

IAG, maison-mère de British Airways, va réduire ses capacités d’« au moins 75 % » en avril et mai, et prend également des mesures d’économies. Et au regard des « circonstances exceptionnelles » liées à la crise, son emblématique patron, Willie Walsh, va rester aux commandes encore quelques temps alors qu’il devait être remplacé fin mars par le patron d’Iberia, Luis Gallego. Enfin, la compagnie scandinave SAS va suspendre 90 % de ses vols, et mettre en chômage technique près de 10 000 employés, soit 90 % de son effectif, tandis qu’en Italie, le gouvernement a annoncé qu’il comptait nationaliser Alitalia.

Les « legacies » ne sont pas les seules au cœur de la tourmente : easyJet a annoncé de nouvelles annulations de vols et Ryanair prévoit une réduction de capacité de l’ordre de 80 % en avril-mai, voire « une mise à l’arrêt total de la flotte ». « Il n’est pas sûr que les compagnies européennes (…) survivent à ce qui pourrait se révéler un gel à long terme des voyages », a commenté easyJet. « Notre secteur fait face actuellement à un défi sans précédent et grave alors que nous nous dirigeons vers un scénario où la plupart de nos avions seront temporairement immobilisés », a souligné la compagnie Norwegian, qui va annuler 85 % de ses vols et mettre au chômage technique près de 90 % de ses 7 300 salariés.

En Amérique Latine, la plus grande compagnie du continent, Latam, a annulé 90 % de ses vols internationaux.

En Chine, où l’épidémie semble faiblir, les compagnies aériennes ont enregistré 3 Md$ de pertes en février en raison du Covid-19. Selon les données de Flightradar24, le trafic aérien des 25 aéroports les plus fréquentés a chuté de 80 % lors de la crise.

Appels aux États

Pour endiguer les conséquences de la crise, l’Iata a demandé des mesures de soutien d’urgence, à l’instar des trois grandes alliances, Oneworld, SkyTeam et Star Alliance, pour faire face aux « défis sans précédents » auxquels fait face le secteur. Aux États-Unis, Delta, American et United sont d’ores-et-déjà en discussion avec l’administration. Selon Airlines for America, qui représente le secteur, les compagnies américaines ont besoin d’aides à hauteur de 50 Md$. Mais personne ne peut dire si cela sera suffisant, alors que les marchés craignent désormais une récession économique mondiale.

Lors d’une conférence de presse le 16 mars, le président américain Donald Trump lui-même reconnu qu’une récession était possible aux États-Unis en raison de la pandémie. Le geste spectaculaire de la Banque centrale américaine, qui a abaissé le 15 mars à des niveaux proches de zéro ses taux directeurs et dévoilé 700 Md$ de nouveaux rachats d’actifs, n’a pas suffit à enrayer la chute des marchés, qui ont capitulé pour la troisième fois en quelques jours au lendemain même de l’annonce de la FED.

Airbus a décidé d’interrompre sa production en France et en Espagne du 17 au 21 mars pour s’adapter aux nouvelles contraintes imposées par le confinement sanitaire. Crédit : S. Ramadier – Airbus.

Pour l’industrie, pourtant soumise à des cycles longs qui tendent à étaler dans le temps les effets des crises, les conséquences se font déjà sentir. Airbus n’a enregistré aucune commande d’avion en février, alors qu’il en avait annoncé 274 le mois précédent. Un an à peine après en avoir pris les rênes, son président exécutif Guillaume Faury a admis s’attendre « à une situation probablement encore plus difficile cette année et l’année prochaine, étant donné l’impact du coronavirus sur le trafic international, l’arrêt d’un certain nombre de lignes et donc une certaine surcapacité, au moins à court terme », a-t-il déclaré le 4 mars lors d’une audition devant la commission des affaires économiques du Sénat. Son objectif de livrer « environ 880 avions commerciaux » en 2020, contre 863 en 2019, pourrait bien dans ces conditions s’avérer hors de portée.

Boeing, qui aborde la crise dans une situation nettement moins favorable en raison de la crise du 737 MAX qui a débuté il y a tout juste un an, est sur un bilan négatif de 28 appareils depuis le début de l’année, en raison des annulations déjà enregistrées. L’agence de notation Standard & Poors, qui a abaissé de A- à BBB la note de la dette à long terme de Boeing en lien avec la crise du 737 MAX, a estimé que « la réduction significative du trafic aérien dans le monde en raison du coronavirus est susceptible de conduire à une augmentation des reports de commandes d’avions, ce qui pèserait encore plus sur les liquidités » du constructeur.

Mais les deux avionneurs, de même que les motoristes et équipementiers, voient aussi leurs revenus liés à la maintenance des avions affectés par les réductions de capacité et l’immobilisation des avions partout dans le monde. Et pour compléter le tableau, ils doivent se prémunir face à la contamination de leurs propres employés, qui pourrait conduire à des fermetures temporaires de lignes d’assemblage. Airbus, dont un employé en Espagne a été testé positif au coronavirus, a annoncé le 17 mars, au lendemain des annonces de confinement décrétées par les gouvernements français et espagnol, la « suspension temporaire » pour quatre jours de sa production en France et en Espagne afin de mettre en place les mesures d’hygiène et de sécurité sanitaire. Il a également décidé de recourir au maximum au télétravail.

Aux États-Unis, la situation pourrait être plus sérieuse pour Boeing, et conduire là aussi à des fermetures de sites, alors que Seattle est le centre principal de propagation de l’épidémie aux États-Unis. Selon le correspondant du Seattle Times, l’avionneur aurait onze cas confirmés, et 339 salariés en quarantaine.

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