Le Super Heavy/Starship reçoit le feu vert de la FAA

Starship
Dépose du Starship S24 sur l'étage Super Heavy B7. Crédit : Space X.
Le moment de vérité approche pour le lanceur géant de SpaceX. La FAA (Federal Aviation Administration) a accordé une licence de vol pour le Super Heavy/Starship. une première tentative de lancement est annoncée le 17 avril.

Le sésame tant attendu est arrivé dans la soirée du 14 avril. Après des mois d’attente, le régulateur américain autorise enfin la firme d’Elon Musk a faire décoller son lanceur géant Super Heavy/Starship de sa base privée à Boca Chica, au sud du Texas, sur la frontière avec le Mexique. Une première tentative est d’ores et déjà fixée au 17 avril, entre 12 h 00 et 14 h 30 TU, avec l’étage Super Heavy B7 et le Starship S24.

Pour ce premier vol, le lanceur biétage de plus de 4 900 t (sans charge utile) ne visera pas l’orbite, pour des raisons de sécurité, afin de ne pas avoir à gérer la retombée non contrôlée d’un étage d’acier de 150 t en cas d’anomalie durant le vol. Par ailleurs, la trajectoire retenue, quasi-orbitale inclinée à 26°, culminant à 235 km d’altitude, permettra d’éviter au maximum le survol de terres habitées.

Chargé de 1 280 t de méthane liquide et de 3 330 t d’oxygène liquide, le biétage de 120 m de haut et 9 m de diamètre doit s’élever sous la poussée combinée de 33 moteurs Raptor 2, ce qui représentera une poussée encore jamais atteinte de 75 900 kN, l’équivalent de cinq Ariane 5 au décollage. L’unique essai statique à 31 moteurs du 10 février n’avait pas dépassé 35 000 kN.

Super Heavy
L’essai à feu du Super Heavy de février a été effectué à mi-puissance. Crédit : SpaceX.

Le plus puissant décollage à ce jour

Le choc acoustique et thermique de cet allumage mettra à rude épreuve la table de lancement que SpaceX a dû renforcer après chacun des essais statiques. L’absence de carneau pour l’évacuation des gaz et de déluge d’eau digne de ce nom (qui nécessiterait un ou plusieurs châteaux d’eau) a entraîné à plusieurs reprises des dommages importants sur la plateforme bétonnée soutenant la table, qui a dû elle aussi être renforcée plusieurs fois après les essais. Située à 100 m à peine du lanceur, la « ferme » de réservoirs d’oxygène et d’azote liquides a dû elle aussi être protégée par une muraille d’une dizaine de mètre de haut pour limiter les impacts des gravats de béton projetés dans sa direction.

Si tout se passe bien, plus de 150 dB devraient être ressentis sur le site, et jusqu’à 120 dB dans la ville voisine de Port Isabel, située à 10 km. On se souviendra que pour avoir l’autorisation de mener ses essais, SpaceX avait d’abord dû obtenir une autorisation environnementale de la FAA, assurant que la flore et la faune locales n’auraient pas à souffrir de l’impact des lancements.

Boca Chica SpaceX
Le site de Boca Chica vu par Pléiades HR le 23 septembre 2021 (image réduite). Seuls 2,5 km séparent la zone industrielle de la zone de lancement. Crédit : Pléiades © Cnes 2021 – Distribution Airbus DS.

Le dernier vol d’essai d’un Starship (SN15) remonte au 5 mai 2021 et reste le seul à s’être conclu par un atterrissage du prototype sans destruction. Au cours de leurs essais, les huit prototypes et précurseurs de Starship qui ont volé jusqu’ici, avec un chargement en ergol limité, n’ont pas dépassé 12 km d’altitude et 250 km/h. Depuis juillet 2019, trois prototypes ont explosé au sol et quatre vols sur neuf se sont achevés sur une explosion. Deux prototypes de Starship et quatre de Super Heavy ont été construits mais ont été retirés avant d’avoir servi à des essais. Douze prototypes de Starship ont été abandonnés en cours d’assemblage.

Le vol du Super Heavy

Super Heavy B7 et Starship S24
L’étage Super Heavy B7 et le Starship S24 à Boca Chica. Crédit : SpaceX.

En 170 secondes, le Super Heavy doit propulser le Starship au-dessus du golfe du Mexique, probablement jusqu’à une altitude avoisinant 70 à 80 km et une vitesse d’environ 8 000 km/h. Le passage transsonique et celui de la contrainte dynamique maximale (MaxQ à 55 s de vol) seront particulièrement cruciaux, notamment pour la tenue du bouclier thermique du Starship, dont les tuiles hexagonales ont posé de sérieuses difficultés à SpaceX par leur fâcheuse tendance à se décrocher, notamment lors de tests de pression ou de mises en froid des réservoirs.

Une fois le Starship séparé, le Super Heavy devra effectuer une manœuvre de « boost back » pour repartir en direction de son point de départ. Il doit se présenter pour un amerrissage en douceur à une trentaine de kilomètres au large de Boca Chica, 495 s après le décollage. Dans le futur, SpaceX espère pouvoir le ramener directement à la verticale de sa table de lancement pour qu’il puisse être « capturé » par les bras (« chopsticks ») de la tour de service, ce qui permet d’éviter d’avoir à doter l’étage de 200 t à vide d’un train d’atterrissage adapté à sa taille.

Aucune récupération du Super Heavy n’est prévue. Celui-ci doit être coulé pour éviter de devenir une épave flottante. Si les réservoirs sont intacts et que l’ouverture des vannes ne suffit pas à le remplir d’eau, il est envisagé de faire feu sur lui.

Le vol du Starship

Starship
Dépose du Starship S24 sur l’étage Super Heavy B7. Crédit : Space X.

Équipé de six moteurs Raptor 2, trois pour le vol atmosphérique (avec des divergents courts) et trois pour le vol dans le vide (avec des divergents longs), le Starship ne devrait utiliser que ces trois derniers pour atteindre sa trajectoire suborbitale définitive après 345 s de poussée. Il passera alors entre la Floride et Cuba, puis entre les Bahamas et le reste des grandes Antilles pour survoler l’océan Atlantique. Sa trajectoire devrait l’amener à survoler le sud de l’Afrique (Namibie, Botswana, Afrique du Sud, Mozambique) avant de passer à l’apogée au sud de Madagascar, après environ 45 mn de vol. Suivra le survol de l’océan Indien, puis un passage entre l’Indonésie et l’Australie, et enfin le survol de l’océan Pacifique avant une retombée à 100 km au nord de l’île de Kauai, après avoir contourné l’archipel d’Hawaï.

À noter que tout déficit de performance de propulsion amènera le Starship à retomber en amont sur la trace décrite ci-dessus. Pour éviter cela, lors du dernier désassemblage du composite, au début du mois, le Super Heavy et le Starship ont été équipés de systèmes d’autodestruction.

Le Starship doit effectuer une rentrée non propulsée, afin de mettre à l’épreuve sa protection thermique réutilisable. Une fois passé en vol atmosphérique, il manœuvrera sur le ventre grâce à ses volets latéraux. Contrairement à ce à quoi nous avons été habitués avec les vols d’essais des démonstrateurs précédents, SpaceX a renoncé à tenter la manœuvre finale qui consiste à redresser le Starship à la verticale et allumer les moteurs Raptor 2 atmosphériques pour un amerrissage en douceur. Il doit impacter la surface de l’océan sur le ventre, 1 h 30 mn et 20 s après son décollage, et couler par 3 000 m de fond, pour ne pas présenter de danger pour la circulation maritime ou pour la faune aquatique.

SpaceX explique qu’il « ne sera pas besoin que toutes les étapes du vol soient réussies pour que ce vol d’essai soit un succès ». D’une durée de cinq ans, la licence accordée par la FAA porte sur le lancement initial, mais pourra être modifiée pour autoriser les suivants.

Le Starship conditionne l’avenir de SpaceX

Pour SpaceX, le succès du concept Super Heavy/Starship est indispensable pour trois enjeux de premier ordre. Il est la première condition à la capacité pour SpaceX de remplir son contrat de plus de 4 Md$ avec la Nasa pour le lancement de trois Starship modifiés pour des missions lunaires dans le cadre du programme Artemis. Le premier de ces HLS (Human Landing System) doit effectuer un vol à vide pour se poser sur la Lune et en redécoller. Les deux suivants permettront le débarquement d’astronautes à la surface de la Lune dans le cadre des missions Artemis 3 et 4.

Starship lunaire
Le Starship en version lunaire n’est pas conçu pour revenir sur Terre. Crédit : SpaceX.

Le succès du lancement du Starship ne suffira pas à rendre le HLS possible. SpaceX doit ensuite démontrer la réutilisation du Super Heavy et du Starship, la capacité de stocker des ergols cryotechniques sur orbite sur la durée, et une méthode de transfert de grandes quantités de ces ergols d’un Starship à l’autre. Le calendrier est serré car le premier HLS habité doit se poser sur la Lune et en redécoller avant que les Chinois ne réussissent leur premier alunissage habité, annoncé pour 2029.

Autre programme conditionné par la disponibilité du Starship, le déploiement de la constellation Starlink avec les satellites 2.0 de 1,25 à 2 t, trop lourds et trop volumineux pour embarquer sur Falcon 9. Plus généralement, avec le Starship, Elon Musk veut réduire drastiquement le coût des lancements sur orbite basse.

Enfin, le Starship est censé être le couteau-suisse du programme phare de SpaceX, le grand-œuvre d’Elon Musk, la colonisation de Mars. Il devra pour cela être qualifié pour le vol habité et être équipé de cabines pour que les colons puissent survivre aux mois de voyage vers la planète rouge. En attendant, les milliardaires Jared Isaacman, Yuzaku Maezawa et Dennis Tito ont déjà réservé des vols. Le premier veut voler sur le premier Starship habité, et les deux autres veulent faire le tour de la Lune.

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